DEL TORO Guillermo, The Shape of Water (La forme de l'eau), 2017. |
Le réalisateur renoue avec le genre qui l'avait rendu célèbre (on se souvient tous du magnifique Labyrinthe de Pan), et son dernier bébé porte cette fois-ci le titre rêveur de "La forme de l'Eau".
Ici, dans l'Amérique de la Guerre Froide, Elisa (Sally Hawkins), muette, franchement pas jolie, travaille au nettoyage des toilettes des hommes dans un laboratoire secret du gouvernement. En ces temps troubles, flotte comme un léger parfum d'espionnage. Condamnée à récurer des chiottes en compagnie de son acolyte (Octavia Spencer), Elisa se retrouve nez-à-nez avec la dernière trouvaille du laboratoire, une étrange créature aquatique.
Très vite, Elisa tressera des liens avec la créature, des liens romantiques qui seront mis à mal par un avatar du mal (Michael Shannon).
Le nerf du film réside indubitablement dans sa capacité à offrir une réflexion métatextuelle sur le cinéma lui même et à lui rendre hommage. En effet, le cinéma apparaît comme le seul salut possible de la protagoniste.
Le quotidien d'Élisa est médiocre et vraiment pas ragoûtant. Après une journée de dûr labeur passée à frotter moultes cuvettes et à éponger des flaques d'urine, sa seule consolation est de visionner des comédies musicales en compagnie de son voisin. L'écran offre alors une réalité alternative et permet à Mme Chiotte de s'imaginer au bras d'un Fred Astaire, ou même de retrouver sa voix. Notons aussi que l'héroïne habite juste au dessus d'une salle de projection, dont les jeux de lumières filtrent à travers le plancher de son appartement grisâtre. Le cinéma aurait donc la possibilité de transfigurer le morne du réel, par le merveilleux qu'il induit et qui s'immisce dans le quotidien du spectateur.
Enfin, la délivrance de l'héroïne, l'amour qui lui permettra de se dépasser et de se transfigurer, arrive avec la rencontre de la créature laquelle n'est pas sans rappeler le monstre de Creature from the Black Lagoon, classique du cinéma d'horreur américain des années 50. Nous pourrions ainsi voir en l'eau et sa symbolique baptismale, le catalyseur de la renaissance d'Élisa.
Jack ARNOLD, Creature from the Black Lagoon, 1954. |
Autrement, La forme de l'eau est une réécriture assez banale de La Belle et la Bête et de l'histoire de la princesse et du crapaud. Le film emprunte au conte, à son lyrisme facile, avec sa séquence d'ouverture commençant par le poncif "il était une fois".
L'histoire est on ne peut plus banale. Del Toro reprend la structure du conte de fée manichéen avec ses gentils et ses méchants de l'autre. Avec un léger "twist"- du moins, c'est ce qu'il cherche à vous faire croire-: les gentils sont tous des "monstres" alors que le méchant est celui dont la façade est la plus ordonnée et qui se révèle être un cœur de pierre.
Dans ce "tale of love and loss, of a princess with no voice, and a monster who tried to destroy it all",
Del Torro joue sur l'étymologie du mot monstre, qui rappelons-le, désigne celui ou celle que l'on montre du doigt. La forme de l'eau devient alors un plaidoyer en faveur des monstres de l'ère Trumpienne : les noirs, les femmes et les homosexuels. La "dream-team" des guerriers de la justice sociale [1] rassemble les "bons" du conte.
Le problème du film de Del Toro, c'est qu'il n'apporte rien de neuf et obéit à la recette de son temps.
Nous ne cherchons pas là à verser dans le négationnisme en remettant en causes les souffrances endurées par les minorités. Néanmoins, l'Occident a intégré les groupes en question, lesquels se voient octroyer de plus en plus de droits. Aussi, le film ne pousse-t-il pas le spectateur occidental à réfléchir, il ne le déconcerte pas, mais répond au contraire à ses horizons d'attente en le confortant dans son mode de pensée libéral. Les méchants sont toujours les mêmes à savoir des représentants de la gente masculine, blancs, hétérosexuels et pères de famille, tant d'avatars du modèle conservateur diabolisé par les libéraux. Le propos bienséant de Del Toro, lorsqu'il s'adresse à son public principal à savoir le public occidental, ne fait surtout écho aux guerriers de la justice sociale, "Black lives matter", "Me too" etc... Plus encore, il conforte un mode de pensée qui semble en vogue actuellement -où les hommes sont tous des salauds ou des bons à rien à moins peut-être d'être homosexuels, et où toutes les femmes, à l'instar d'Élisa qui récure les toilettes des hommes à longueur de journée, sont les victimes d'un complot insitutionnalisé nommé phallocratie-.
En bonne coureuse de lauréats, j'ai été voir ce film. Comme beaucoup je me suis fait avoir, puis j'ai réfléchi. La vérité est qu'en regardant La forme de l'eau, on se laisse facilement prendre dans la toile de Del Torro.
Que la façade trop ordonnée de la Persona puisse cacher de terribles ténèbres, soit.
Que l'hétérosexualité ne soit plus vue comme une orientation sexuelle mais comme un système structuré et bien huilé favorisant l'exploitation des femmes par les hommes, c'est tout de suite plus discutable. Les minorités sont de plus en plus indépendantes. Reste alors à nous interroger sur les véritables motivations du réalisateur. Del Toro est-il un guerrier de la justice sociale au discernement quelque peu contestable? La forme de l'eau est-il un film-recette, politiquement correct et concertant, taillé pour être une bête à Oscars ? Que reste-t-il du véritable engagement?
N.A
[1] Guerrier de la justice sociale: Militant défenseur de la bien-pensance, passé spécialiste dans l'art de défendre sans discernement l'antiracisme, le féminisme et la communauté LGBT.