samedi 2 mai 2015

Petit diptyque littéraire à l'usage des amateurs d'ondines


Les ondines et les nixes sont les équivalents germaniques des nymphes et des naïades grecques. Pour le théoricien de l'imaginaire Gaston Bachelard, l'Ondine est à l'Eau ce que la Salamandre est au Feu, le Gnome à la Terre, la Sylphide à l'Air. Un fantôme, un saint patron de l'imaginaire aquatique.

Plus largement, les ondines sont des génies des eaux, sortes de sirènes sans nageoires, qui peuplent les lacs, les rivières. La légende attribue l'alimentation des fontaines aux larmes des ondines, leurs assèchements à leurs colères. Ancrées dans notre imaginaire littéraire, nous nous les figurons d'une grande beauté, écailles et nageoires ayant épargné leur peaux contrairement aux sirènes, leurs cousines, coiffées d'une chevelure enivrante qui renverait aux trésors que renferment leurs palais. Elles transcendent les âges et les cultures, surgissent aux prémices du romantisme allemand, s'invitent dans la Loreleï d'Apollinaire, et vont même jusqu'à s'immicer dans notre théâtre moderne.
Tantôt bienveillantes, souvent maléfiques, égarant les hommes dans les marais pour ensuite les noyer, le traitement de l'ondine diffère selon les auteurs

Voici un petit diptyque littéraire, non exhaustif et sans prétention sur mes Ondines favorites.

John William Waterhouse, Hylas and the Nymphs
... Il y a même eu beaucoup de gens qui se sont
noyés dans un mirroir...

Ramon Gomez De La Serna, 
Gustave l'incongru

- " Ecoute ! - Ecoute ! - C'est moi, c'est Ondine qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine quicontemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.

" Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l'air.

*

Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour être l'époux d'une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.

Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842


Nous avions repris plus haut les propos de Gaston Bachelard, en donnant à voir l'Ondine comme la sainte patronne des eaux.
L'eau est un symbole ultra féminin qui renoue selon Bachelard avec la matrice originelle. Bertrand nous propose ici la quintessence de la rêverie primaire aquatique, qui renvoie à l'onirisme, et plus encore, à une sorte de paradis perdu. Il y a donc tentation de retrouver ce paradis perdu en plongeant dans les profondeurs du lac, la surface de l'eau, comme un miroir, permettant de passer de l'autre coté. S'immerger dans l'eau reviendrait alors à étreindre son ciel perdu.
Mais cette traversée à l'enjeu alléchant n'est pas sans risque: Le principal danger? se perdre dans les limbes du régime nocturne des suites de la plongée, de sombrer dans la folie, le lunaire.
Rappellons par ailleurs que toute traversée est une allégorie à la mort. Les exemples sont nombreux: la mort d'Ophélie, Charon et sa barque, les eaux du Styx. Il n'y a pas de traversée heureuse.
Toute tentation suppose la présence d'un Méphistophélès.
Nous pourrions alors voir dans l'Ondine de Bertrand une sorte de démon tentateur.
Il y a bien évidemment l'objet du pacte: celui du mirage digestif: le retour illusoire au paradis perdu. Le triangle, objet de sythèse ne renverait-il pas à l'utérus de la mère une fois renversé?
Mais plus encore, la stratégie de la tentatrice ayant pour but de faire basculer son interlocuteur: entre séduction et insistance, murmures et danse suave, Ondine, personnage ambivalent, entre ange et démon,  use de ses charmes pour entrainer le narrateur de l'autre coté du miroir.


Comme c'est dommage ! Comme je l'aurai aimé!- Ondine, Jean Giraudoux
John William Waterhouse, The Naïad





"Chercher dans le monde ce qui « n'est pas usé, quotidien, éculé », trouver au bord d'un lac une fille appelée Ondine, deviner qu'elle est la gaieté, la tendresse, le sacrifice... et la saluer profondément, puis repartir en épouser une autre nommée Bertha, ne serait-ce pas idiot? "

Jean Giraudoux, Ondine, 1938

En s'inspirant du conte de Friedreich de La Motte-Fouqué du même nom, Jean Giraudoux reprend la figure d'Ondine pour l'adapter aux planches. Les grandes lignes sont les mêmes pour les deux ouvrages: Ondine, génie des eaux, tombe éperdument amoureuse d'un chevalier errant. Mais les divinités des eaux voient d'un mauvais oeil l'union de deux êtres appartenant à deux régimes différents, et lui prédisent le malheur. Ondine, forte de son amour pour le chevalier, défie les siens et commet l'irréparable:
Si Hans la trompe, il mourra, conformément au pacte des ondines.


Pour sa pièce, Jean Giraudoux s'affranchit du code courtois et chrétien, tous deux chers à son prédécesseur De La Motte-Fouqué au profit d'un traitement exceptionnel du personnage éponyme, qu'il épaissit pour accoucher d'une des plus belles odes à l'amour de la littérature française...
...Ondine jouit du statut de héros que lui confère sa double ascendance:  un père biologique, incarné par le vieux pêcheur qui la recueille et l'élève enfant. Ce père, tout ce qu'il y a de plus mortel, profondément enraciné dans le réel, cherche, par tous les moyens du monde, à ramener Ondine à la terre.

 Nous sommes trop faibles avec elle, Eugénie. Une fille de quinze ans ne doit pas courir les forêts, à pareille heure. Je vais parler sérieusement. Elle ne veut repriser son linge qu'au faîte des rochers, réciter ses prières que la tête sous l'eau... 

Il s'oppose de ce fait au père mythique de l'héroïne, roi des ondins, maître de la rêverie des eaux et dont l'objet est d'élever sa progéniture.
Jusque là, tout va pour le mieux pour notre personnage éponyme qui parvient à faire fi de sa dualité...
Et puis, une troisième figure masculine fait irruption dans son quotidien, une figure qu'elle se choisit comme père spirituel, reniant de ce fait son père mythique: le chevalier Hans.
Mais Hans n'est qu'un demi chevalier: casanier, vaniteux et beau parleur, il n'a pas les épaules, pas la carrure pour surmonter les obstacles. Le père spirituel est ici perverti. Au lieu d'élever Ondine, c'est lui qui orchestrera inconsciement leur perte. Car Hans enlève Ondine à ces eaux vives qui lui sont chères. À défaut du lui montrer la voie du transcendant, il la ramène à la brutalité de la terre, au clos du château, à tout ce que l'on pourrait se figurer de plus materiel.
Inconsciement, et par souci de conformisme, il enferme l'héroïne dans une sorte de dictature du On, où le conformisme est roi, et le nivellement maître, avant de se détourner d'elle pour consommer ses noces avec Bertha, probablement parce que c'était plus simple.
Car même si elle renie sa nature d'ondine, la protagoniste n'en demeure pas moins un monstre, cet hybris que l'on montre du doigt.
Ondine aime, et pour plaire à Hans, elle tente de sacrifier sa part de monstruosité, aspirant ainsi aux régime des mortels, poussant la mimésis à l'extrême, jouant avec les limites du ridicule.

Oui. J'ai peur que vous ne m'abandonniez... Il m'a dit que vous m'abandonneriez. Mais il m'a aussi dit que vous n'êtes pas beau... Puisqu'il s'est trompé pour ceci, il peut se tromper pour cela.

Mais la jeune fille n'est préparée ni à la cruauté des hommes, ni à leur instabilité.
Car l'Ondine de Jean Giraudoux incarne parfaitement la dialectique sexuée de l'enlisement face à l'inconstance de l'Homme, sous couvert de deux régimes hétérogènes, le tellurique et l'aquatique.
La pièce décrit parfaitement les mécanismes de la passion et offre une vision assez pessimiste de l'amour et des rapports humains que l'auteur nous dépeint du point de vue du personnage principal, complètement désinhibée du fait de sa condition hybride.
La naïveté d'Ondine est désarmante,  elle nous berce pour ensuite nous prendre a la gorge sans prévenir, car l'héroïne "grandit" dans la souffrance, faisant preuve, à la fin de la pièce d'une terrible lucidité dont Giraudoux se sert pour faire le procès de l'amour, pari perdu d'avance, quête d'une perfection illusoire.  

Plus on souffre, plus on est heureux. Je suis heureuse. Je suis la plus heureuse.

C'est en se tenant assez longtemps à la surface irisée que nous comprendrons le prix de la profondeur. (Cf. Gaston Bachelard, L'eau et les rêves) L'eau, à l'instar de la pièce, déborde des digues, pour ensuite nous submerger et nous entrainer dans sa cavité. Une véritable descente dans les profondeurs du ventre.  On ne peut être que touchée par Ondine, souffrir avec elle, pour elle, et surtout pour Nous.
En lisant Ondine, j'ai eu l'impression de tomber le masque pour enfin asseoir le monstre en moi et accepter d'être regardée en tant que tel.

N.A