lundi 30 janvier 2017

Ombres, ombres, ombres... Je ne vois que des ombres, et il n'y a personne pour m'entendre.

Mohammed DIB, Un été Africain,
1959, Seuil, coll. "Points",
1998, 191 p.
Ils se nomment Marhoum, Mokhtar, Zakya, Bedra, Djemmal.
Le fossé creusé par leurs conditions sociales, leurs sexes, leurs préoccupations et aspiration profonde, tout semble les séparer. Et pourtant ils participent tous d'une même tragédie. C'est par le biais de leurs histoires respectives, que Mohammed Dib donne à voir la guerre d'Algérie (1954-1962).

Mohammed Dib se situe dans le courant littéraire éthnographique de description du quotidien. Cependant, loin de tendre vers la satisfaction du lecteur orientaliste, la description de la société Algérienne s'inscrit dans une recherche d'identité perdue parce qu'écrasée- projet dont Dib serait, par conséquent, le premier bénéficiaire-.
Un été Africain
semble alors s'inscrire dans la lignée des œuvres de contestation et de combat- rappelons à juste titre qu'il a été publié en 1959, pendant les "événements-  puisque l'auteur s'attache à dévoiler les conditions de vie des personnages en situation coloniale.
En appréhendant les personnages dans la Vérité de leur quotidien, Mohammed Dib donne à voir les abus perpétrés par le colonisateur: Il est bien entendu question d'expropriations, d'arrestations arbitraires. Si la violence est rarement frontale, on la devine au territoire fracturé par les différents check-points et barrages, à la tension qui règne dans les deux camps et au doux moutonnement des habitants Algériens, qui complètement aliénés vont à leur perte en chantant.

Cependant, la révolte ne peut s'opérer sans l'autocritique des coutumes surranées. D'ailleurs, Mohammed Dib n'a jamais été pour la récrimination systématique et "la contestation n'est pas chez lui synonyme de haine et de mépris".
Aussi ne faut il pas s'étonner si les thèmes du conflit générationnel et de la relation au père essaiment le roman.

D'après Jean Chevalier, le père est renvoie à la "domination de la valeur. En ce sens, [il] est une figure inhibante, castratrice [...], décourageant les efforts d'émancipation en exerçant une influence qui prive, stérilise et maintient dans la dépendance. [Ainsi, il devient le garant] du monde de l'autorité traditionnelle en face de forces nouvelles de changement." (1)
D'ailleurs, en s'opposant systématiquement (politiquement ou affectivement) à leurs enfants les pères d'Un été Africain, semblent, malgré eux, être les gardiens d'une Algérie nécrosée parce qu'encastrée dans des traditions surrannées, empêchant le bourgeonnement et l'épanouissement d'une Algérie nouvelle. Ils sont d'ailleurs associés à la thématique de l'enfermement et du somnambulisme qui renvoient à la castration et à l'aliénation, lesquels confèrent au roman une structure ciculaire et donc une dimension tragique.

La lecture d'Un été Africain est indissociable de son contexte de publication. Le postulat de Mohammed Dib n'est pas sans rappeler le discours de Suède d'Albert Camus sur la vocation de l'écrivain: le refus de mentir et le fait d'éveiller des consciences. En brossant le tableau de personnages dans leur quotidien, avec tout ce qu'ils supposent de cruauté, de lâcheté, d'aveuglement mais aussi d'espoir, ce n'est pas eux que l'auteur chercher à bouleverser, mais des hommes et des femmes vrais qu'il appelle à la révolte.

N.A

(1) CHEVALIER Jean, Dictionnaire des symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, 1969, Robert Laffont/ Jupiter, coll. "bouquins", Paris, 1982, p.856.

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