mercredi 13 septembre 2017

Les enfants du Pirée ou le soleil au dessus du bordel


Kostas MOURSÉLAS,
Les enfants du Pirée,
Cambourakis, 2017.

En Grèce, on ne présente plus Kostas Moursélas, ni La rousse aux cheveux teints (Βαμμενα κοκκινα μαλλια), roman sulfureux rapidement devenu best seller, paru en 1989 et ayant fait l’objet d’une adaptation télévisée du même nom.
C’est cette œuvre, parue initialement dans sa version française chez Hatier en 1996, que les éditions Cambourakis ressuscitent près de 20 ans plus tard sous l’intitulé aux accents de la chanson éponyme de Hadjikakis, interprété par Mélina Mercouri : Les enfants du Pirée.
Le narrateur, Konstantidis Manolopoulos, devenu écrivain, y relate les frasques de la bande dont il a fait partie dans sa jeunesse au Pirée dans les années 50s, et qui orbite plus ou moins autour du très charismatique Manolis Retsinas, dit « Louïs ».
À l’image de ce roman flirtant  tout aussi bien avec les codes du roman populaire qu’avec la philosophie, Louïs est un personnage du « où bien… où bien… » ou comme le qualifierait Moursélas, de personnage « pas vraiment » :
« On peut faire le portrait d’Emmanouil Rètsinas surnommé Louïs en deux mots : pas vraiment. Pas vraiment petit, pas vraiment laid, pas vraiment beau, pas vraiment paresseux, pas vraiment illettré, pas vraiment athée. Qu’est-ce que j’entends par pas vraiment athée ? Qu’il ne met presque jamais les pieds à l’église, par contre il va aux enterrements, aux baptêmes et aux mariages, même aux siens. Il en est à son deuxième et il a failli ne pas s’arrêter là. »
C’est cet énergumène enivrant (qui tient d’ailleurs son nom du spiritueux grec), et qui nous emporte sans jamais nous ennuyer dans un périple long de plus de 400 pages.
            Tour à tour libraire, boulanger, joailler, fonctionnaire publique, prestidigitateur, branleur professionnel, beau parleur, filou au grand cœur, Louis, maître de la transgression, refusant de se ranger et de se conformer au sociolecte du groupe dominant adopté tôt ou tard par le narrateur, est une sorte de picaro hellène, permettant à Moursélas de brosser le tableau de près de quarante années d’histoire grecque.
Amorçant la dictature des colonels et donnant à voir les tensions palpables dans le Pirée des années 50 amorçant, entre communistes et royalistes après la guerre civile (1946-1949), le narrateur nous invite à nous plonger dans les entrailles de la ville. Le lecteur vit les années des illusions, manifestants du dimanche et aboyeurs sublimes, puis celles de la délation, des vendus et des vautours, lesquelles ne sont pas sans rappeler la Grèce contemporaine. Moursélas ne se prive pas de taper sur la gauche comme sur la droite, le tout sans avoir l’air d’y toucher, en confiant la narration au très sage Manolopoulos. C’est une Grèce très loin du Disney Land pour amateurs d’archéologie actuel qu’il nous sert, entre bordels, quartiers populaires, petites frappes et coups fourrés en tout genre.
            À défaut de s’identifier à cet affreux jojo, don juanesque au possible tant par ses prouesses galantes que par son impérieux désir de cracher au visage des conventions sociales, le lecteur se reconnaîtra peut-être en Manolopoulos le narrateur, petit fonctionnaire s’étant trahi lui même, malheureux en ménage, ayant fait les frais d’une mère méditerranéenne terriblement castratrice (certains se reconnaîtront), le tandem illustrant le dilemme entre le « je veux » et le « j’ai peur ».
Dans un livre ou Manolis se révèle l’envers de Manolopoulos, Moursélas nous renvoie le reflet de notre propre psyché, voire de nos petites lâchetés.
            Roman purement dionysiaque, Les enfants du Pirée est un concentré d’humour et de questionnements existentiels qui sent le sexe, les beuveries entre copains, les tapes dans le dos de la dernière tournée et aussi un peu la tristesse. Réquisitoire contre la pudibonderie, un hymne à la liberté qui exalte l’imperfection, et qui prône le droit de se tromper pour étreindre l’incertitude des lendemains.

N.A




 
Ce livre nous a été conseillé par les libraires du Livre Ouvert à Athènes. 
Solonos 77, Athènes 106 79, Grèce |
Σόλωνος 77, Αθήνα 106 79:




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