samedi 2 mai 2015

Petit diptyque littéraire à l'usage des amateurs d'ondines


Les ondines et les nixes sont les équivalents germaniques des nymphes et des naïades grecques. Pour le théoricien de l'imaginaire Gaston Bachelard, l'Ondine est à l'Eau ce que la Salamandre est au Feu, le Gnome à la Terre, la Sylphide à l'Air. Un fantôme, un saint patron de l'imaginaire aquatique.

Plus largement, les ondines sont des génies des eaux, sortes de sirènes sans nageoires, qui peuplent les lacs, les rivières. La légende attribue l'alimentation des fontaines aux larmes des ondines, leurs assèchements à leurs colères. Ancrées dans notre imaginaire littéraire, nous nous les figurons d'une grande beauté, écailles et nageoires ayant épargné leur peaux contrairement aux sirènes, leurs cousines, coiffées d'une chevelure enivrante qui renverait aux trésors que renferment leurs palais. Elles transcendent les âges et les cultures, surgissent aux prémices du romantisme allemand, s'invitent dans la Loreleï d'Apollinaire, et vont même jusqu'à s'immicer dans notre théâtre moderne.
Tantôt bienveillantes, souvent maléfiques, égarant les hommes dans les marais pour ensuite les noyer, le traitement de l'ondine diffère selon les auteurs

Voici un petit diptyque littéraire, non exhaustif et sans prétention sur mes Ondines favorites.

John William Waterhouse, Hylas and the Nymphs
... Il y a même eu beaucoup de gens qui se sont
noyés dans un mirroir...

Ramon Gomez De La Serna, 
Gustave l'incongru

- " Ecoute ! - Ecoute ! - C'est moi, c'est Ondine qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine quicontemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.

" Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l'air.

*

Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour être l'époux d'une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.

Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842


Nous avions repris plus haut les propos de Gaston Bachelard, en donnant à voir l'Ondine comme la sainte patronne des eaux.
L'eau est un symbole ultra féminin qui renoue selon Bachelard avec la matrice originelle. Bertrand nous propose ici la quintessence de la rêverie primaire aquatique, qui renvoie à l'onirisme, et plus encore, à une sorte de paradis perdu. Il y a donc tentation de retrouver ce paradis perdu en plongeant dans les profondeurs du lac, la surface de l'eau, comme un miroir, permettant de passer de l'autre coté. S'immerger dans l'eau reviendrait alors à étreindre son ciel perdu.
Mais cette traversée à l'enjeu alléchant n'est pas sans risque: Le principal danger? se perdre dans les limbes du régime nocturne des suites de la plongée, de sombrer dans la folie, le lunaire.
Rappellons par ailleurs que toute traversée est une allégorie à la mort. Les exemples sont nombreux: la mort d'Ophélie, Charon et sa barque, les eaux du Styx. Il n'y a pas de traversée heureuse.
Toute tentation suppose la présence d'un Méphistophélès.
Nous pourrions alors voir dans l'Ondine de Bertrand une sorte de démon tentateur.
Il y a bien évidemment l'objet du pacte: celui du mirage digestif: le retour illusoire au paradis perdu. Le triangle, objet de sythèse ne renverait-il pas à l'utérus de la mère une fois renversé?
Mais plus encore, la stratégie de la tentatrice ayant pour but de faire basculer son interlocuteur: entre séduction et insistance, murmures et danse suave, Ondine, personnage ambivalent, entre ange et démon,  use de ses charmes pour entrainer le narrateur de l'autre coté du miroir.


Comme c'est dommage ! Comme je l'aurai aimé!- Ondine, Jean Giraudoux
John William Waterhouse, The Naïad





"Chercher dans le monde ce qui « n'est pas usé, quotidien, éculé », trouver au bord d'un lac une fille appelée Ondine, deviner qu'elle est la gaieté, la tendresse, le sacrifice... et la saluer profondément, puis repartir en épouser une autre nommée Bertha, ne serait-ce pas idiot? "

Jean Giraudoux, Ondine, 1938

En s'inspirant du conte de Friedreich de La Motte-Fouqué du même nom, Jean Giraudoux reprend la figure d'Ondine pour l'adapter aux planches. Les grandes lignes sont les mêmes pour les deux ouvrages: Ondine, génie des eaux, tombe éperdument amoureuse d'un chevalier errant. Mais les divinités des eaux voient d'un mauvais oeil l'union de deux êtres appartenant à deux régimes différents, et lui prédisent le malheur. Ondine, forte de son amour pour le chevalier, défie les siens et commet l'irréparable:
Si Hans la trompe, il mourra, conformément au pacte des ondines.


Pour sa pièce, Jean Giraudoux s'affranchit du code courtois et chrétien, tous deux chers à son prédécesseur De La Motte-Fouqué au profit d'un traitement exceptionnel du personnage éponyme, qu'il épaissit pour accoucher d'une des plus belles odes à l'amour de la littérature française...
...Ondine jouit du statut de héros que lui confère sa double ascendance:  un père biologique, incarné par le vieux pêcheur qui la recueille et l'élève enfant. Ce père, tout ce qu'il y a de plus mortel, profondément enraciné dans le réel, cherche, par tous les moyens du monde, à ramener Ondine à la terre.

 Nous sommes trop faibles avec elle, Eugénie. Une fille de quinze ans ne doit pas courir les forêts, à pareille heure. Je vais parler sérieusement. Elle ne veut repriser son linge qu'au faîte des rochers, réciter ses prières que la tête sous l'eau... 

Il s'oppose de ce fait au père mythique de l'héroïne, roi des ondins, maître de la rêverie des eaux et dont l'objet est d'élever sa progéniture.
Jusque là, tout va pour le mieux pour notre personnage éponyme qui parvient à faire fi de sa dualité...
Et puis, une troisième figure masculine fait irruption dans son quotidien, une figure qu'elle se choisit comme père spirituel, reniant de ce fait son père mythique: le chevalier Hans.
Mais Hans n'est qu'un demi chevalier: casanier, vaniteux et beau parleur, il n'a pas les épaules, pas la carrure pour surmonter les obstacles. Le père spirituel est ici perverti. Au lieu d'élever Ondine, c'est lui qui orchestrera inconsciement leur perte. Car Hans enlève Ondine à ces eaux vives qui lui sont chères. À défaut du lui montrer la voie du transcendant, il la ramène à la brutalité de la terre, au clos du château, à tout ce que l'on pourrait se figurer de plus materiel.
Inconsciement, et par souci de conformisme, il enferme l'héroïne dans une sorte de dictature du On, où le conformisme est roi, et le nivellement maître, avant de se détourner d'elle pour consommer ses noces avec Bertha, probablement parce que c'était plus simple.
Car même si elle renie sa nature d'ondine, la protagoniste n'en demeure pas moins un monstre, cet hybris que l'on montre du doigt.
Ondine aime, et pour plaire à Hans, elle tente de sacrifier sa part de monstruosité, aspirant ainsi aux régime des mortels, poussant la mimésis à l'extrême, jouant avec les limites du ridicule.

Oui. J'ai peur que vous ne m'abandonniez... Il m'a dit que vous m'abandonneriez. Mais il m'a aussi dit que vous n'êtes pas beau... Puisqu'il s'est trompé pour ceci, il peut se tromper pour cela.

Mais la jeune fille n'est préparée ni à la cruauté des hommes, ni à leur instabilité.
Car l'Ondine de Jean Giraudoux incarne parfaitement la dialectique sexuée de l'enlisement face à l'inconstance de l'Homme, sous couvert de deux régimes hétérogènes, le tellurique et l'aquatique.
La pièce décrit parfaitement les mécanismes de la passion et offre une vision assez pessimiste de l'amour et des rapports humains que l'auteur nous dépeint du point de vue du personnage principal, complètement désinhibée du fait de sa condition hybride.
La naïveté d'Ondine est désarmante,  elle nous berce pour ensuite nous prendre a la gorge sans prévenir, car l'héroïne "grandit" dans la souffrance, faisant preuve, à la fin de la pièce d'une terrible lucidité dont Giraudoux se sert pour faire le procès de l'amour, pari perdu d'avance, quête d'une perfection illusoire.  

Plus on souffre, plus on est heureux. Je suis heureuse. Je suis la plus heureuse.

C'est en se tenant assez longtemps à la surface irisée que nous comprendrons le prix de la profondeur. (Cf. Gaston Bachelard, L'eau et les rêves) L'eau, à l'instar de la pièce, déborde des digues, pour ensuite nous submerger et nous entrainer dans sa cavité. Une véritable descente dans les profondeurs du ventre.  On ne peut être que touchée par Ondine, souffrir avec elle, pour elle, et surtout pour Nous.
En lisant Ondine, j'ai eu l'impression de tomber le masque pour enfin asseoir le monstre en moi et accepter d'être regardée en tant que tel.

N.A

mardi 21 avril 2015

Top ten tuesday: mes dix citations préférées

 Je confirme.
Le sel de l'eau de mer brûle
tout sur son passage.
Il pénètre et tétanise les tissus
et les organes de toutes parts,
cerveau y compris.
Moi je confirme aussi, on s'y fait. 

-Enki Bilal, Animal'z

Aime moi Noire.
Blanche tout le monde m'aimerait.

-Joseph Kessel, Les temps sauvages

Je peuple ma solitude d'autres solitudes et, dans la froide multiplication de mes relations, rien ne fait en sorte que cela change.

-Giulion Minghini, Fake


Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu’aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.

-Marguerite Duras, Hiroshima mon Amour


LE ROI DES ONDINS: Il t'a donné le malheur...

ONDINE: Sûrement. Mais là encore nous sommes chez les humains. Que je sois malheureuse ne prouve pas que je ne sois pas heureuse. Tu n'y comprends rien: choisir dans cette terre couverte de beautés le seul point où l'on doive rencontrer la trahison, l'équivoque et le mensonge, et s'y ruer de toutes ses forces, c'est justement là le bonheur pour les hommes. On est remarqué si on ne le fait pas.
 Plus on souffre, plus on est heureux.
Je suis heureuse, je suis la plus heureuse.

-Jean Giraudoux, Ondine


"- Dites-moi, Raspoutine, vous qui le connaissez bien, a-t-il jamais été amoureux cet homme-là ?
- Si, il y a très longtemps, peut-être… d’une belle jeune fille atteinte de misonéisme. Il ne se passa rien. Dialogue décourageant, ils parlaient peu, se regardaient beaucoup…Et ne se touchaient jamais…comme s’ils avaient une peur morbide, obsessionnelle de se contaminer…Puis la belle jeune fille, surpassant ses phobies, en épousa un autre et l’histoire fit un bond en avant."

-Hugo Pratt, Corto Maltese 


[…] Quand tu penses que je serai à toi, est-ce que tu sens au milieu de toi comme un grand trou qui se creuse, comme quelque chose qui meurt ?

-Jean Anouilh, Antigone 

[…] Je n’ai plus qu’une seule mémoire, celle de ton nom.
 
-Marguerite Duras, Hiroshima mon Amour


"Au delà du silence,
Il y a le bonheur d'être ensemble.
Rien n'est plus beau que d'être ensemble."

 -Wajdi Mouawad, Incendies


"Je vais vous dire le secret, Général. Nous sommes tous restés des petits garçons. Il n'y a que les petites filles qui grandissent. "

- Jean Anouilh, La valse des torréadors


Le Top Ten Tuesday est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini. Ce rendez-vous a initialement été créé par The Broke and the Bookish et repris en français sur le blog de Iani.

dimanche 19 avril 2015

"À la foire, Barbara a perdu ses lunettes, tata Julie m'a perdu, moi, et tonton Joseph a perdu son pari: il avait parié avec papa qu'il n'y aurait aucun problème avec moi."

Eva Janikovski et László Réber,
Je n'en rate jamais une !
La Joie de Lire, 2013, 40 p.
Pour continuer dans la lancée du journal intime, cette semaine de découvrir un nouvel album hongrois, qui obéit à ce même traitement.
Il s'agit de Je n'en rate jamais une !  d'Éva Janikovszky, illustré par Lazlo Réber et publié chez La joie de lire.

Le héros de cette histoire collectionne les marrons et les boîtes d'alumettes. Il ne grandit que le jour de son anniveraire parce que c'est ce jour là que son papa le mesure, il est le premier à commencer la nouvelle année car il est le seul à souffler dans le mirliton à sept heures tappantes, pendant que ses parents dorment encore. Il s'étonne que la maîtresse veuille être sa deuxième maman, et sait aussi que quand son père lui dit "Par ici mon garçon j'ai deux mots à te dire", c'est que "ca va barder", sinon il lui parle dans lui dire qu'il a deux mots à lui dire.

Pas facile alors, de grandir pour le jeune héros, qui, dans une volonté de bien faire, accumule les bêtises. L'album est organisé en plusieurs épisodes, racontés successivement par le petit garçon, un peu comme on raconterait des souvenirs: il n'y a pas de réelle suite entre les épisodes, mais on suppose que les évennements s'étendent sur une année, de la première rentrée du héros aux grandes vacances.
Et en un an beaucoup de choses peuvent arriver: il y a bien évidement l'inauguration de l'année scolaire, les visites de la maîtresse à la maison, la grande soeur casse-pieds, sans oublier l'épisode hilarant où le jeune héros perd son chien Salami et qu'il en rachète deux autres avec son argent de poche parce qu'un chien "c'est un peu comme les lunettes, mieux valait avoir une paire de rechange à la maison." 
Pas grand chose à redire sur cet album, si ce n'est que les illustrations ne sont pas extraordinaires, même si cette simplicité colle très bien avec l'esprit du livre et assure son rôle de transition.
Les histoires de Janikovszky ont généralement trait au quotidien de l'enfant et qui permettent aux jeunes lecteurs de s'identifier au héros. Le traitement de l'histoire fait beaucoup penser à celui des aventures du Petit Nicolas. Le style est candide, et donne lieu à des énormités qui en dérideront plus d'un, et paralèllement, il y a beaucoup de pertinence dans les paroles de l'enfant surtout lorsqu'il s'agit de pointer les failles des parents. Voyez plutôt ce qui suit:

J'étais encore en train de pleurer quand Barbara a fini par me trouver. Elle était chargée de veiller sur moi, et l'émission de variétés venait sans doute de se terminer.

Barbara on a fait le tour du parc en sifflant mais ce n'est pas Salami qui est arrivé, mais papa, qui nous cherchait partout parce qu'il était chargé de veiller sur nous.

La prochaine fois que je voudrai jouer les grands, je veillerai sur moi, c'est plus simple.


Drôle et attendrissant, jouant avec les limites du politiquement incorrect, Je n'en rate pas une ! est un album universel qui malgré la densité de son texte se dévorera très vite et saura, j'en suis sûre, faire sourire les lecteurs les plus récalcitrants.

N.A

*        *        *


Cet album à été lu dans le cadre du challenge Avril en Albums
initié par Bookwormette

lundi 13 avril 2015

"J'ai été élevé par des clowns, des bouffons, des comédiens et un homme-canon, et c'étaient les plus tristes créatures que j'aie jamais vues."

Rawi Hage, Carnival City
Editions Denoël, 2014, 343 p.
Dans Carnival City, Rawi Hage nous fait sillonner une grande ville nord américaine aux cotés de Fly, un taxi de nuit singulier, toujours à l'affut de nouveaux passagers, d'histoires. En résultent bien des rencontres, bonnes où mauvaises qu'importe, puisqu'elle sont toutes bonnes à raconter.

Fly est né dans un cirque. Enfant, il lit les fables de La Fontaine aux singes, se promène devant les cages aux fauves, grandit dans la roulotte de la femme à barbe.
Fly est une mouche. Probablement à cause de son enfance de nomade. Les mouches [...], se meuvent sans discontinuer. Demeurer sur place est, pour elles, impensable. Le mouvement leur est vital. Ainsi, notre personnage principal sillonne les rues bourdonantes de la grande ville à la recherche de nouveaux passager qui défilent sur sa banquette: prostituées, ivrognes, gros bonnets, baron de la drogue ou fils à papa.
À ses heures perdues, il passe son temps à se masturber sur le tapis de son père en s'inventant des scénarios pour le moins épiques dans son appartement-bibliothèque qui regorge de trésors.
Dans un registre qui invite l'hallucinatoire dans la réalité, la poésie dans les bas-fonds de la ville, Fly nous raconte l'histoire de ses courses nocturnes lors de la saison du carnaval, celle des passagers qu'il rencontre, et se fait défenseur de l'orphelin, du clochard et de la putain à l'occasion. Le tout dans une esthétique copulative, doublée d'une langue riche, entre grandes envolées et humour noir, aussi foisonnante que la faune qu'il cotoye au fil des chapitres.

À l'image du carnaval, et de cette humanité en mal d'amour qu'elle cherche à rendre, l'écriture de Carnival City part un peu dans tous les sens. En découle une construction romanesque assez morcelée et sans véritable continuité, à l'exception de certains personnages qui refont surface au fur et à mesure que les pages défilent. Il y a là un souci de réalisme, une volonté de rendre les rencontres d'un chauffeur de taxi, leur brièveté et leur ponctualité, mais cet éclatement de la structure pourrait en dérouter plus d'un, en particulier lorsque l'auteur prive le lecteur des outils lui permettant de tisser des liens avec ses personnages (j'ai moi même décroché plusieurs fois avant de pouvoir le terminer).
On parvient finalement à s'attacher à Fly, mais il s'agit encore une fois d'un couteau à double tranchant: soit on aime, soit on déteste. Je fais partie des premiers, j'a toujours eu un point faible pour les anti-héros. Fly n'est pas un enfant de choeur, la noirceur du roman en témoigne, et pourtant il a quelque chose de sacrificiel, presque... divin.

Malgré sa noirceur, il y a une véritable ode à l'altérité dans le dernier roman de Hage. Le lecteur est ancré dans le réel. Il ouvre les yeux sur les problèmes sociaux d'une époque où s'insécurité est reine, et il y a dans ce livre quelque chose de la dystopie. Entre drogue, caïds d'un soir, jeunes demoiselles en détresse, racisme, abus en tout genre et j'en passe, le bilan peut sembler bien pessimiste. Mais plus que cela, Carnival City est une invitation à voir au delà de la masse pour mieux s'interesser à l'individualité de chacun dans toute sa différence, ses moments de faiblesse, de désespoir, pour parfois entrevoir le sacré dans tout ce qu'il a de plus primaire.

N.A

Ce livre à été lu dans le cadre du Challenge Projet 52.

vendredi 3 avril 2015

« Je m’appelle Poucet, Petit Poucet. Mais le plus souvent, père et belle-maman (qui n’est pas belle pour un sou mais moche comme un pou) ainsi que mes six frères m’appellent autrement. Pas une journée sans que l’un d’eux n’ait une nouvelle idée. »

Philippe Lechermeier et Rebecca Dautremer,
Journal secret du Petit Poucet, Gautier-Languereau, 2009
Mise à part sa petite taille, Poucet est un petit garçon comme les autres.

Enfin, presque. 

Depuis la grande pénurie, il n'y a plus rien à manger dans son village : lui et sa fraterie n'ont pour toute nourriture qu'un grand bol d'air frais pour petit déjeuner et pour diner, de la soupe au choux, au clous, aux cailloux, et parfois, à rien du tout. Même que son professeur, tenaillé par la faim, a essayé de manger son frère Boris, et que depuis, l'école est fermée.
Heureusement, Poucet à des copains, plein de copains avec qui faire les quatre-cent-coups.
Bien entendu cela pourrait être pire.
Et le pire arrive, le jour où belle maman (qui n'est pas belle du tout mais moche comme un pou) décide d'abandonner Poucet et ses frères dans la fôret.



            Philippe Lechermeier,  choisit de nous raconter l'histoire à travers les yeux du principal interressé, le point de vue de Poucet lui-même, en la présentant sous la forme d'un journal intime.
Ce choix accouche d'un récit très dynamique, composé de chapitres courts (une page pour chaque jour), où la narration se fait extrêmement vivante.
Pour raconter ce conte de fée que nous connaissons tous, l'auteur choisit la voix du petit Poucet, une voix enfantine où transparait quelque fois l'ironie lorsque le jeune héros considère le monde des adultes, la guerre, les relations humaines.
Le lecteur ne peut que plonger dans l'univers de l'enfant et découvre sa bourgade, ses six frères, et ses copains étrangements familiers: Yvain et Gauvain de la caserne, Tristan et Yseult.
Il rit des jeux de mots du petit Poucet, sourit aux référence littéraires qui parsèment le récit, des reflections du protagoniste, de la liste de ses plus grand bonheur et des plus grands malheurs. Le tout mélé au talent de Rebecca Dautremer (qu'on ne présente plus) et qui met ce conte en image à coup de magnifiques illustrations, toutes dessinées à la main avec des mediums tout ce qu'il y a de plus classique (dessin, peinture, collages; si, si, je vous jure), dans un style foisonnant de détails qui allie parfaitement mélancolie et humour.

            Après un Cyrano truculent, et une Alice merveilleusement illustrée, Rebecca Dautremer et ses amis conteurs s'attaquent une fois de plus à une figure mythique de la littérature. Résultat? Un album à dévorer avec les yeux, tant au niveau du texte qu'au niveau des illustrations, d'un comique qui surprend, bref une réécriture très moderne et étoffée du Petit Poucet qui ne jure pas avec le conte original. Tout en y ajoutant de la douceur, beaucoup de douceur.
Un must plein de surprise pour les enfants et les grands enfants. Et qui sait?
Peut-être comprendrez-vous aussi ce qui est réellement arrivé aux miettes de pain semées par Poucet.

*        *        *


Cet album à été lu dans le cadre du challenge Avril en Albums
initié par Bookwormette
    

lundi 23 mars 2015

"Nous restons toujours les mêmes, et ceux que nous avons été, dans le passé, continuent à vivre jusqu'à la fin des temps. "

Je ne vous l'avais pas encore dit mais j'ai fait mon retour en librairie lundi !
Je n'y reste malheureusement pas très longtemps, faute de temps, et je serais là-bas jusqu'à la semaine prochaine le temps de remplacer une collègue. Néanmoins, et si j'arrive à m'organiser (faites que oui... faites que oui...), je reintegrerai l'équipe en mai, du coup je croise les doigts, et vous avec moi.
 Et qui dit librairie dit littérature jeunesse. Normalement, je ne devrais pas avoir le temps de lire sur place, mais en ce moment je suis du matin et comme je reassortis mes étagères plutôt vite, il m'arrive de lire des albums et des romans jeunesse en attendant mes factures.

Catherine Certitude, Patrick Modiano
et Sempé, Folio Junior, 2011, 96 p.
 Et aujourd'hui j'ai décidé de vous parler d'un roman jeunesse d'un certain Patrick Modiano, intitulé Catherine Certitude.

J'aimerai tout d'abord dire deux mots sur la quatrième de couverture que je vous ai mis juste en dessous.

"Comme son papa, Catherine Certitude porte des lunettes. Et une paire de lunettes, cela complique parfois la vie : par exemple lorsqu'elle est obligée de les enlever au cours de danse. Car Catherine rêve de devenir une grande danseuse comme sa maman qui vit à New York. Mais ses lunettes lui offrent l'avantage de pouvoir vivre dans deux mondes différents : le monde réel, tel qu'elle le voit, quand elle les porte, et un monde plein de douceur, flou et sans aspérité si elle les ôte. Un monde où elle danse comme dans un rêve..."

Il y a de ça, c'est vrai, mais je trouve que ce petit résumé peut en berner plus d'un, dont moi. La danse est en effet présente dans les romans, mais n'est en rien son thème principal.
La danse étant relayée au second plan, le futur-lecteur est en droit de se demander à quoi s'attendre.

L'histoire commence lorsqu'un professeur de danse, Catherine, assiste de sa fenêtre New Yorkaise, à un cours de danse, et qu'elle apperçoit une petite fille enlever ses lunettes avant le début de la leçon comme elle le faisait elle même plus jeune. Ce spectacle lui fait l'effet d'une vraie madeleine, et fait remonter des souvenirs d'enfance, du temps où elle habitait à Paris.

On revit alors alors l'enfance de Catherine Certitude, rendues par les illustrations de Sempé: Ses promenades dans les rues de Paris avec son Papa, qui fait figure de meilleur copain, ses cours de danse teintée de satire vis-à-vis des dames de la bonne société, les diners dans la brasserie du coin et les interminables dictées du barbant monsieur Castorade, associé de son père et ferru d'orthographe.
Ceux qui ont déja lu du Modiano retrouveront par la même occasion les thèmes du souvenir, de l'identité, chers à l'auteur et qui jalonnent son oeuvre entière. Le tout grâce à la dualité apparence/vérité et la longue métaphore filée des lunettes de Catherine qui une fois retirées plonge la petite fille dans un autre monde alors que le simple fait de les remettre la ramène à la réalité.
Comme dans Rue des boutiques obscures, l'identité des personnages est floue. Au début du roman, on ne sait pas trop quel est le métier du papa de Catherine, ni que Monsieur Castorade avait, un jour, écrit de la poésie, a présent mise au tirroir.
 À travers un texte très pudique, rempli de douceur et où transparait la tristesse, Modiano lève le voile sur les apparences, en brossant le portrait de personnages dissimulant leurs vrais visages derrière des masques, des enseignes de magasins, une énorme villa où encore une cave remplie de petites statuettes de danseuses. Que les individus choisissent parfois de renier un passé trop douloureux, de changer de nom pour protéger ceux qu'ils aiment et pour se protéger eux même.

En plus d'envoyer valser les certitudes, Modiano montre que les souvenirs et que les existences se perdent dans l'immense masse des individus. Que le seul fait de repeindre l'enseigne d'un magasin suffit à perdre la trace de son propriétaire. L'occasion pour l'écrivain de faire de l'écriture le seul moyen de laisser une trace au monde.
Ainsi il y aura toujours une petite fille nommée Catherine Certitude qui se promènera avec son père dans les rues du Xe arrondissement, à Paris. 

NA

vendredi 13 mars 2015

"Mère, ne pleure plus. Je suis trop jeune et trop faible pour réclamer justice. Mais je fais le voeu d'épouser celui qui tuera notre ennemi. Je le servirai alors avec le plus grand dévouement."

Tigre le dévoué,Qifeng Shen & Agata Kawa
Ed. Hongfei, 2009, 30 p.
En librairie, et lorsque j'ai le temps de souffler, il m'arrive d'aller à l'étage pour feuilleter certains albums qui m'ont tappés dans l'oeil.
C'est comme ca que j'ai découvert Le carnet rouge, Agata Kawa et plus particulièrement ses manifiques illustrations, et que ni une ni deux j'ai passé une commande pour repartir un mois plus tard avec Tigre le dévoué sous le bras.

J'aime beaucoup les maisons d'éditions qui nous font voyager par dela les mers avec leurs parutions. L'album dont je vais vous parler est publié chez Hong-fei Culture, maison avec un ligne éditoriale qui consiste en la promotion des cultures extrêmes orientales par le biais de la littérature jeunesse. D'ailleurs, Tigre le dévoué est une adaptation d'un conte chinois du XVIIIème, écrit par un certain Qifeng Shen.


Ca ne vous rappelle rien?
 Pour ce qui est du récit, cet album a pour objet une étrange histoire d'amour :
Alors que Xiaoying Huo, une jeune fille dans la fleur de l'âge s'apprette à trouver chaussure à son pied, son père est assassiné dans des conditions obscures, répendant ainsi l'infamie sur les Huo.
Xiaoying fait alors le voeu d'épouser celui qui vengera son père, injustice qui est réparée... par un tigre. Xiaoying, prend le tigre pour époux afin d'honorer sa promesse. Mais entre la jeune fille et l'animal, y a-t-il vraiment de la place pour l'amour?


Tigre le dévoué est donc une histoire un peu dans la même verve que La Belle et la bête même si ce conte chinois ne finit pas forcément très bien.
Mis à part les dialogues, je dois avouer que la traduction n'a rien d'extraordinaire, ce qui m'a un peu rebuté au premier abord. Les dialogues sont bien construits contrairement aux passages narrés, rédigés dans un style loin d'être affolant de beauté.

Mais considérons un peu l'album en tant qu'objet. J'ai apprécié la beauté de la couverture, le tigre stylisé au possible à la manière chinoise, et par la dorure qui, se détachant sur fond lie-de-vin faisant penser à du tissu, encadre les deux personnages principaux. La page d'avant garde est aussi extremement soignée : on peut y voir le tigre agenouillé face à la jeune fille, le tout dans des tons ocres, d'où la ressemblance de ces pages avec un parchemin. 


Les illustration collent bien avec l'univers de cet album. Très détaillées, on sent qu'Agata Kawa, s'est imprégnée de cet univers chinois dans lequel s'incrit l'histoire. Le dessin est fin, la gamme de couleur utilisée évoque l'Orient, bien qu'on reconnaisse le trait de crayon de l'illustratrice, visiblement influencée par Alphonse Mucha et l'Art Nouveau. À mon sens, il s'agit assurément du point fort de cet album. Les images pourraient quasiment raconter l'histoire à elle seules, évoquant les sentiments des personnages tout en pudeur.

Tigre le dévoué traite d'un
thème universel, transcendant les cultures et les époques.  Bien que l'histoire ne soit pas forcément bien écrite ou particulièrement originale, j'ai cependant apprécié le style de l'illustratrice et comment elle reussit à retranscrir la Chine traditionnelle.
À dévorer avec les yeux, et peut-être, à raconter.

N.A

 

lundi 2 mars 2015

"Une autre différence entre ces fables et leurs équivalents moldus est que les sorcières de Beedle [...] préfèrent prendre leur destin en main plutôt que de faire une sieste prolongée ou attendre qu'on leur rapporte leur chaussure égarée. L'exception à cette règle, la jeune fille sans nom du Sorcier au coeur velu est plus proche de l'idée que nous nous faisons d'une princesse de contes de fées mais l'histoire ne se termine pas par "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants."

Il m'arrive de penser que si j'ai des enfants un jour, je les initierai à Harry Potter de J.K Rowling.
J'ai moi même regretté d'avoir attendu tellement longtemps pour m'y mettre et l'ayant lue sur le tard, j'ai découvert une saga complexe, riche en rebondissements, et pensée dans le moindre détail (ainsi qu'un amour incommensurable pour un certain Severus Snape).

Cela va faire quelques années que j'ai achevé la lecture des aventures d'Harry Potter et en vadrouillant en librairie, j'ai mis la main sur ce petit recueil de contes, qui a beaucoup trop longtemps moisi dans ma Pile à Lire (tiens, comme c'est étonnant) avant que je ne décide de le lire .

Les Contes de Beedle le Barde, sont un peu l'équivalent de ceux de Grimm et d'Andersen chez les Moldus, mis à part le fait que les premier bercent l'enfance des jeunes sorciers.
Le recueil est composé de cinq contes: Le sorcier et la marmite sauteuse, La fontaine de bonne fortune, Le sorcier au coeur velu, Babbitty Lapina et la souche qui gloussait ainsi que le tristement célèbre Conte des trois frères.

Concernant les contes, je dois dire qu'ils n'ont pas tous trouvé grâce à mes yeux : Si j'ai adoré La fontaine de bonne fortune et Le conte des trois frères qui est évoqué dans le dernier tome de la Saga Harry Potter et qui est capital quant à l'identification des hocruxes, le reste m'a moyennement, voire pas du tout effleurée, comme pour Le sorcier et la marmitte sauteuse. J'ai eu du mal avec le happy-ending un peu trop forcé de ce dernier, qui est à mon sens le plus moralisateur de tous.
Je ne vais pas disserter sur le fait que ce recueil véhicule des valeurs telles que la tolérance, l'humilité ou la sagesse, vous le verrez bien par vous même, et puis c'est le propre de tout conte.
J'ai cependant été conquise par les commentaires d'Albus Dumbledore à la fin de chaque histoire. Une occasion pour l'ancien dirrecteur de Poudlard de nous livrer maintes informations sur la vie à Poudlard, un certain Abraxas Malefoy, une mise en scène ratée de La fontaine de bonne fortune et j'en passe, le tout avec beaucoup d'humour, et une plume très agréable à lire. L'occasion pour moi de replonger dans cette saga que j'aime énormément, même si certains noms de sorts m'on échappés sur le coup. En feuillettant les pages j'ai aussi appris que J.K Rowling se défendait pas trop mal en dessin et ça m'a fait sourire.

Avec Les Contes de Beedle le Barde, J.K Rowling nous offre un joli petit recueil, pas tout le temps égal mais néanmoins très agréable à lire, et qui saura assurément toucher les fans d'Harry Potter.
J'ai adoré m'y plonger, bien que la dernière fois que j'ai eu une aventure d'Harry Potter entre les mains date. Ce livre m'aura permis de redécouvrir cet univers que j'aime toujours autant, voire de révéler des aspects que je ne lui connaissais pas. Pour moi, c'est un oui.

N.A

2014: Pour le Meilleur et pour le Pire


Je dois faire partie d'une des dernières personnes à vous livrer mon petit palmarès de lecture de 2014. Par manque de confiance peut être mais aussi parce que j'ai du mal à classer mes lectures par ordre de préférence, et que je me demande toujours si ce genre de classement ne vaut que pour les nouveautés ou alors pour des parutions plus anciennes que vous auriez lues cette année. Enfin bref, pour ma part j'ai décidé de me cantonner aux lectures que j'ai faites cette année, d'une part parce que la littérature contemporaine, je n'en ai lu que très peu, et surtout parce que certains de ces coups de coeurs ou grosses déception sont des classiques que je n'ai découvert que sur le tard. Enfin je pense que l'essentiel a été dit, il est temps d'attaquer ce fameux classement.

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Le Top d'Enlivrez-Vous


Commençons donc par le meilleur de cette année livresque. Je dois dire que je suis plutôt contente, car j'y ai fait beaucoup de belles découvertes que j'ai eu beaucoup de mal à départager. Il a cependant fallu en retenir cinq donc voila ceux qui à mon sens se sont vraiment démarqués du lot.

En première position et comme je l'avais annoncé dans une de mes chroniques, nous avons Le Grand Cahier d'Agota Kristof dont je vous ai pas mal parlé Ici. Une fois commencé je n'ai pas réussi à le lâcher (je n'aurai jamais lu un livre si vite) et il me tardait de découvrir la suite.
Je conçois qu'il s'agit d'un roman à ne pas mettre dans toutes les mains étant donné la brutalité de l'action et la violence qui jalonne le libre. Je le recommande à tous les fans des styles efficaces, crus et qui vont droit au but.


Talonnant de très près Le Grand Cahier, et en deuxième position, nous retrouvons Le Nao de Brown  de Glyn Dillon. Il faut absolument que je vous parle de cette B.D et si je ne l'a pas encore fait c'est surtout parce que, l'ayant adorée, je ne me sentais pas de taille à lui rendre justice en terme de chronique. Glyn dillon nous fait miroiter des abîmes ordinaires, et on en sort secoué, si ce n'est vidé. Mais si cette bande dessinée atterrit aussi haut dans le meilleur de 2014, c'est surtout parce que j'ai rarement vu une oeuvre aussi maîtrisé d'un point de vu narratologique et pictural.
Rien, absolument rien n'est laissé au hasard. Le dessin, assez classique, contraste avec la démesure de l'héroïne et cela m'a beaucoup plu. Je vous ferai une chronique la dessus bientôt, j'attends juste de la relire pour mieux vous en parler tellement j'ai envie de vous la faire découvrir.

Vient ensuite un roman que je ne chroniquerai probablement pas, parce que j'ai généralement du mal à m'attaquer au classiques de la littérature et ce top 2014 me permet de vous en parler ici.
C'est mon ami Adam qui m'a conseillé ce livre et je ne l'en remercierai jamais assez: Après une Promesse de l'Aube gentillette, je ne pensais pas relire du Romain Gary avant longtemps et La vie devant soi m'a en quelque sorte réconciliée avec l'auteur et le mot est faible.
J'ai adoré ce roman. Adoré le personnage de Momo qui m'a tout de suite touchée, par ce qui reste de sa candeur, sa gaité enfantine sur le déclin (qui cache une profonde tristesse) que Gary a bel et bien su exprimer. Au programme, les frasques de Momo et de ses copains, l'Amour (avec un grand A) qu'il porte pour la grosse madame Rosa, le "droit sacré des peuples à disposer d'eux même" qui n'est pas respecté par l'Ordre des médecins et des rencontres plus que surprenantes, et surtout, la naïveté des propos du petit garçon qui traduisent cependant une terrible lucidité.
Ce livre sait vous prendre aux trippes, comme Momo, il alterne douceur et cruauté sans jamais qu'elles ne soient sur-jouées. A lire, et surtout à méditer.

En quatrième position, nous retrouvons un roman dont je vous ai déjà beaucoup parlé, et que je n'ai découvert qu'en fin d'année.
Il s'agit du Malfaiteur de Julien Green, sur lequel je ne vais pas bavasser pendant des heures, vous invitant plutôt à lire la chronique que j'en ai fait.
Bien que l'intrigue et le dénouement soient prévisibles -après, il s'agit d'une tragédie romancée, donc tout est normal-, ce roman est une vrai réussite tant d'un point de vue technique et narratologique au point où j'ai failli le travailler pour mon mémoire. Bien qu'il ne s'agisse pas de son roman le plus connu, il est parfait pour ceux qui souhaiteraient découvrir l'auteur : le lecteur ne peut qu'en apprécier l'écriture fluide et le cynisme de Green lorsque celui-ci décortique l'intériorité de ses personnages, nous dévoilant, sans avoir l'air d'y toucher, le miroir de leur âme.



Il est vrai que je n'ai pas vraiment mis à l'honneur la rentré littéraire. Aucun roman ne s'est réellement détaché à mes yeux, y compris pour Pas pleurer de Lydie Salvayre qui, pour moi, était un Goncourt du moins pire. Non, aucun livre n'est sorti du lot, à part peut-être La Lune dans le puits de François Beaune, que j'ai découvert au Salon du livre Francophone de Beyrouth. J'ai même échangé quelques mots avec l'écrivain (sans savoir que c'était lui bien évidement sinon c'est moins drôle), et je suis donc repartie sans dédicace, le livre sous le bras en me demandant ou est ce que pouvait bien être l'auteur.
C'est un livre pour ceux qui comme moi, aiment les carnets de voyage même si celui ci est un peu différent. Avec La Lune dans le puits, François Beaune nous embarque dans un voyage autour du bassin méditerranéen, de Tanger à Hébron, en passant par Marseille, Jérusalem et Beyrouth, et de réunir près de 200 histoires glanées auprès des locaux et qui sont classée dans un certain ordre selon la période dans laquelle s'inscrit le souvenir, de l'enfance à la mort. J'ai été à moitié surprise par la vitesse à laquelle je tournais les pages parce qu'il s'agit d'un gros pavé, mais pas tant que ça parce les histoires que La lune dans le puits propose sont courtes, souvent à chute comme des nouvelles et pour la plupart terriblement attachantes. J'espère vous en parler plus tard. À suivre donc.

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Le Flop d'Enlivrez-Vous


Et comme c'était trop beau pour que ça dure, voici les lectures que j'ai le moins apprécié en 2014.
Il n'y a pas de véritable classement car aucun de ces livres n'était vraiment horrible. Juste en dessous de ce que j'attendais. Il s'agit plus de grosses déceptions, pour la plupart, que de mauvais livres.

Sans grande surprise, le dernier roman de Mathias Malzieu attérit cette année dans le pire de 2014.
Comme pour les romans précédents j'ai eu l'impression que l'auteur avait beaucoup de mal à se renouveler. De lire, encore une fois, cette même histoire d'amour impossible et fantasque, avec les mêmes personnages aux blessures mal pansées. De plus, Le plus petit baiser jamais recensé manque à mon sens d'une réelle structure lui permettant de tenir la route. J'ai eu du mal à plonger dans l'univers de ce roman, probablement parce que celle-ci va dans tous les sens et cette dimension fantastique et absurde qui m'avait plu dans le premier roman de Mathias Malzieu est ici grossie à l'extrême.
L'overdose de chocolat magique, de plumes de perroquets bleus m'a simplement empêchée d'apprécier ce livre, et ce qu'il y avait derrière à supposer qu'il y ait vraiment eu quelque chose.

Dans la catégorie du Livre que tout le monde a adoré sauf moi c'est Benjamin Lacombe qui remporte la palme avec Ondine En parcourant mes chroniques, vous aurez peut-être remarqué qu'il m'arrive souvent de citer cet album et rarement en bien. Et pour cause, j'ai mal supporter le balancement entre les images superbes, les ambiances sombres, parfois cruelles, et le texte bancal et mal tourné. Les ellipses trop nombreuses portaient préjudice à l'histoire d'Ondine.
Je sais bien qu'il s'agit d'une adaptation de la pièce de Jean Giraudoux et du conte de Frédéric de la Motte Fouqué, le tout adressé aux enfants, et qu'il est normal que l'histoire soit tronquée pour être plus accessible. Sauf qu'ici le terme "Massacre" convient mieux. J'ai trouvé que ce découpage altérait le sens de l'histoire, altérait aussi la beauté du personnage d'Ondine et de son sacrifice, et qu'il rendait enfin le dénouement de l'histoire incompréhensible pour ceux n'ayant pas lu la pièce ou le conte.
Si je l'ai gardé, c'est surtout grâce à ses illustrations. Aussi, quitte à se le procurer, il vaudrait mieux le raconter plutôt que lieu de le donner à lire.

En ce qui concerne la liste Goncourt, Le Roi disait que j'étais diable aura été pour moi un des plus gros flops de cette édition.
Moi qui m'attendait à un roman médiéval, avec de longues descriptions chatoyantes où les troubadours se mêleraient au fer, j'ai été déçue. Plonger dans ce roman m'a été impossible tellement j'ai détesté les personnages, et le fait que la dimension psychologique, grossie au point d'en devenir ridicule, prenne le pas sur l'action. Vu que j'en ai déjà parlé et que cet article est suffisamment long comme ça, je vous invite à lire la chronique que j'en ai fait ici.

*     *     *  

Voilà, c'est tout pour le bilan de cette année. Vous l'aurez peut-être remarqué mais la liste des Flops et moins longue que celle des romans que j'ai préféré. Comme je l'avais déjà souligné plus haut, j'ai eu beaucoup de chance, n'étant pas tombée sur des romans foncièrement mauvais. Ceux qui lisent ce blog régulièrement se demanderont peut-être pourquoi Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon ne figure pas cloué au pilori, mais heureusement pour lui, il s'agissait d'une lecture de 2013.
Je ne remercierai jamais assez ceux qui auront eu le courage de lire ce long article jusqu'au bout, ainsi que ceux et celles qui lisent mon blog. Mine de rien, cela fait déjà un peu plus d'un an, et ce n'est que le début.
N'hésitez pas à me présenter vos plus gros coups de coeur livresques, ceux que vous me recommandez chaudement, ou que vous aimeriez me faire découvrir.
N.A







jeudi 26 février 2015

"Ça marche toujours lorsqu'on sait ce qu'on fait. "

Jonathan Livingston le Goéland,
Richard Bach, Éditions J'ai Lu, 2010, 127p.
J'ai reçu ce tout petit livre il y a deux ans, et je m'étais jurée de m'y attaquer au plus tôt (ha-ha) après avoir lu les critiques élogieuses de la blogosphère et parce ce que mine de rien, il s'agit d'un must de la littérature Américaine.
Jonathan Livingston le Goéland est un livre court qui aurait du se lire tres vite. Oui, aurait du.
J'ai surement du rater quelque chose pour que ce livre me laisse de marbre et vais bien évidemment tenter de vous en parler ici.

Mais revenons-en d'abord au propos du livre pour mieux vous mettre dans le bain.
La quatrième de couverture nous dit : Jonathan Livingston n'est pas un goéland comme les autres. Sa seule passion : voler toujours plus haut et plus vite, pour être libre. Mais cet original qui ne se contente pas de voler pour se nourrir ne plaît guère à la communauté des goélands. Condamné à l'exil, seul, Jonathan poursuit ses découvertes, sans peur, sans colère. Il est seulement triste de ne pouvoir les partager, jusqu'au jour où il rencontre des amis... Jonathan apprend alors à briser les chaînes qui emprisonnent son corps et ses pensées. Ce livre drôle et poétique est un hymne à l'amour et à la liberté !

Drôle et poétique? Vraiment?
Par sa longueur (cent-trente pages à peu près), un roman comme celui la se devatt de frapper droit au but, d'aller chercher la jugulaire.
Au lieu de cela, le lecteur à surtout l'impression que l'auteur tourne autour du pot, à force de noyer une intrigue vachement prévisible dans une marée de détails relevant du spirituel, le tout d'une écriture manquant cruellement de souplesse, ce qui nous amène au plus gros problème de ce roman.

La lecture de ce livre à été plus que laborieuse et je regrette un peu de ne pas l'avoir lu dans sa version originale. Pour moi, un roman initiatique dont le thème principal est la liberté se doit être poétique et fluide... Seulement voila, les termes sont mal choisis, et les tournures très maladroites, à croire que le traducteur à retranscris le roman linéairement sans s'imprégner de son esprit, à moins qu'il n'ait fait un pari dans le genre " T'es pas chiche de nous pondre la traduction la plus sèche du monde".

Cette lourdeur qu'introduit la traduction est relayée par le traitement de l'histoire et les grands thèmes abordés par Richard Bach. Jonathan Livingston le Goéland est un roman initiatique où le personnage éponyme, rejeté par les siens tire les conclusions de son exclusion, et trouve force, courage et transcendance dans sa différence.  Jusque là, tout va bien. Seulement la deuxième et la troisième partie du roman m'ont été insupportables. Je pense même que c'est à partir de là que j'ai décroché. Dès lors que Jonathan est exclu de sa communauté, le roman verse dans une espèce de dimension fantastique, une sorte de Nirvana ou le personnage éponyme fait la connaissance de celui qui sera son gourou, l'instigateur de sa formation spirituelle dont le crédo est « Exigez la liberté comme un droit, soyez ce que vous voulez être. » . C'est à partir de ce moment la que l'on découvre que les personnages ne sont que de simples archétypes sans aucune épaisseur psychologique, ce qui rend l'action extrêmement prévisible, et donc extrêmement ennuyeuse. La fin, elle, est tout ce qu'il y a de propre aux idéalistes bien pensants, et le livre s'achève dans un esprit de conversion de la masse.
Le fait que ce livre soit considéré comme un self-hep book par certains aurait du me mettre la puce à l'oreille. On ne m'y reprendra plus.

N.A

vendredi 13 février 2015

"En rentrant, nous jetons dans l’herbe haute qui borde la route les pommes, les biscuits, le chocolat et les pièces de monnaie. La caresse sur nos cheveux est impossible à jeter."

Le livre dont je souhaite vous parler aujourd'hui fait partie de mes coups de coeurs de l'année 2014. Il s'agit du premier tome de La Trilogie des Jumeaux de la Hongroise Agota Kristof, trilogie que j'achèverai dans les jours qui suivent. J'ai cependant tenu à chroniquer les tomes séparément, voire de ne chroniquer que le premier tome, moins par paresse que de crainte de vous aiguiller sur la suite des évènements.


Le grand cahier, c'est l'espèce de journal que les jumeaux Klaus et Lucas tiennent lors de leur séjour à la campagne, lorsque leur mère les confie à leur Grand-Mère pour les protéger de la guerre qui fait rage dans la Grande Ville.

"Nous l'appelons Grand-Mère.
Les gens l'appellent la Sorcière. Elle nous appelle «fils de chienne»."

Le pavé est jeté dans la mare. Les jumeaux réalisent bien vite que pour survivre, ils n'auront d'autre choix que de compter l'un sur l'autre et surtout sur eux même. Ils sont deux contre le monde entier, ou peut-être devrai-je dire qu'ils ne font plus qu'un, et que cette relation adelphique fusionnelle est leur dernier rempart face à la sauvagerie du réel.

Face à un monde où la cruauté n'a plus d'égal, et pour s'endurcir, les jumeaux entreprennent alors une étrange éducation en autodidactes, doublée de rituels (exercices de cécité et de surdité, d'immobilité, de résistance à la douleur physique et morale) qui devraient leur permettre d'affronter le monde et son absurde violence.
Le tout consigné d'une écriture froide, où le Nous prédomine, comme pour préserver leur dernier bastion, cette gémellité qui apparait comme leur seul espoir de survie.
Le grand cahier
fait partie de ces oeuvres qui privilégient la fonction de narration à la fonction esthétique. Il en résulte une écriture cash, qui va droit au but, une écriture qui montre à quel point les enfants sont parfois singuliers... et terribles.

Le grand cahier est un livre qui dérange de par son caractère cru, tant par son écriture que par les termes abordés. Certains chapitres sont très graphiques, et j'ai par moment du réprimer quelques haut le coeur tant l'horreur y est omniprésente, et surtout à cause de la voix blanche des Jumeaux qui dépeint les scènes les plus abjectes d'une voix étrangement tranquille. Une voix qui se contente de décrire ce qu'elle voit en faisant abstraction de toute émotion, Klaus et Lucas ne se fiant jamais à leurs sentiments qu'ils considèrent comme une marque de faiblesse.

Vous vous demandez surement pourquoi je défends ce livre, alors que la présentation que j'en fait est loin d'être appétissante, c'est le cas de le dire. Le grand cahier n'est certainement pas un livre à mettre dans toutes les mains. Il aborde des thèmes tel que le masochisme, la pédophilie, la zoophilie, la guerre et son charnier (bien évidement) et cette liste est loin d'être exhaustive. Les jumeaux peuvent paraître cruels, inhumains, étranges au premier abord...
Et pourtant leur humanité est bel et bien présente, même si profondément enfouie. Lisez plutôt cette phrase, et voyez par vous même:

En rentrant, nous jetons dans l’herbe haute qui borde la route les pommes, les biscuits, le chocolat et les pièces de monnaie. La caresse sur nos cheveux est impossible à jeter.

J'ai personnellement adoré ce livre, à cause justement de ces instants de grâce. C'est un roman qui se lit vite. Les chapitres sont courts, l'écriture est simple, concise et incroyablement efficace. On va de gifle en gifle et on en redemande. Avec Le grand cahier, Agota Kristof montre comment l'écriture peut faire figure de salut. Et peut-être qu'en lisant entre les lignes, vous parviendrez à anticiper la suite (je n'y suis pas parvenue avant d'aborder le deuxième tome) qui est plus que surprenante. À suivre...

NA


jeudi 12 février 2015

"La guerre, heureusement, éclate le lendemain, ce qui fait que je ne suis jamais allée faire la bonne ni chez les Burgos, ni chez personne."

Ceux qui, avec le Goncourt, s'attendaient à voir défiler un cortège de romans portant sur la première guerre mondiale se sont trompés. La sélection de 2014 ne serait pas celle de 1914. L'académie semble en effet avoir tablé sur l'éclectisme en proposant aux lecteurs un large éventail de thèmes, mais où la dimension historique apparait cependant comme majoritaire.
Après l'Algérie française de Kamel Daoud, la condition juive dans Charlotte ou Ce sont des choses qui arrivent, et l'éternelle problématique des frontières abordée par Emmanuel Ruben, Lydie Salvayre nous propose de revivre une autre guerre : celle qui divisera l'Espagne en 1936, théâtre d'atrocités aussi bien adverses qu'intestines.

Pour ce faire, l'auteur tresse deux visions de la guerre: celle de Georges Bernanos, fervent catholique et royaliste qui choisit de témoigner contre son propre camp après avoir assisté aux abominations de Palma perpétrées par ceux que l'on appellera plus tard les franquistes, et parallèlement, le regard de Montse, la mère de la narratrice, quinze ans en 1936, qui vit la guerre d'Espagne comme un affranchissement euphorique des moeurs villageoises et du code social avant d'être ramenée à la réalité.
Le roman de Lydie Salvayre à cela d'agréable que ses personnages ne sonnent pas faux: cette justesse est sans doute liée au fait que l'auteur prend le temps de brosser le portrait psychologique de chacun d'entre eux : grâce à la focalisation interne, la narratrice nous dévoile l'intériorité de tous les personnages, la mère c'est évident, et entre autres celle de Josep, tête brulée qui finira martyr ou encore l'ombrageux batard, Diego. Ce choix de focalisation est fondamental dans le sens ou il permet au roman d'inviter le particulier, à savoir le quotidien des civils dans l'universel qui est la guerre d'Espagne. Le conflit, qui est pourtant abordé dans nos livres d'histoire nous est raconté autrement et va à l'encontre de l'optique analytique et scientifique que nous connaissons si bien aux ouvrages historiques et sociologiques.
Par la focalisation interne, le roman devient alors un médium où le vécu du héros prime sur l'Histoire avec un grand H, où l'individu prend le dessus sur la généralisation scientifique. Un peu comme si, pour une fois, nous pouvions raconter l'histoire de Montse, Diego ou Josep, la littérature devenant, avec le cinema, le seul lieu où il serait possible d'occulter un temps Franco pour laisser la place à un monsieur ou à une madame tout-le-monde.
La thématique du courage est omniprésente dans ce roman: le courage d'assumer, incarné par Montse, celui de mourir pour ses idées, et surtout le courage de remettre en question ce que l'on prenait pour aquis, d'être intègre quitte à dénoncer ce que l'on cautionnait après avoir été témoin du mal, et ce à travers la figure de Georges Bernanos qui pose la littérature comme étant un acte de citoyenneté.
Les passages en espagnol ne m'ont personellement pas plus gêné que ça. J'ai même trouvé que le métissage de la langue apportait une espèce d'euphorie communicative des plus bienvenues dans la manière l'histoire. Je regrette l'absence de traductions, de notes quelquonques car je conçois que pour ceux ne connaissant pas la langue, l'abondance de ces passages puisse rebuter
J'aurais aussi aimé que Georges Bernanos soit plus présent dans l'intrigue, le fait de l'introduire par petites citations tronquant à mon sens la fluidité du récit n'avait pour effect que de rendre par moment la construction du roman rébarbative et, je dois l'avouer, quelque peu laborieuse. Il faut s'accrocher ferme pour ne pas lacher Pas pleurer. Bien qu'ayant pris en affection la mère de la narratrice, j'ai manqué de ce petit quelque chose qui fait l'excitation, les grandes envolées romantiques, et les espoirs déchus... Je n'en suis pas sortie particulièrement remuée et on me l'avait tellement vanté que je ne peux vous cacher ma déception.


Le Goncourt de cette édition 2014 partait surement d'une excellente intention. Il a d'abord le mérite de faire découvrir Georges Bernanos, voire de donner envie de le lire. Le mérite aussi de vouloir poser la littérature comme devoir de mémoire. Projet ambitieux, certes, peut-être même un peu trop pour la plume de Lydie Salvayre qui ne parvient pas, à mon sens, à toucher le lecteur, à frapper au ventre et à frapper fort.
Maladroitement exécuté, Pas Pleurer reste à mon sens un roman moyen, qui tout au plus vous apportera une autre vision de la guerre d'Espagne.

N.A

mercredi 11 février 2015

"Et je sais, je sais que toutes les filles se sont trouvées affreuses, en se réveillant ce matin, et que toutes attendent un coup de fil qu'on ne leur passera jamais. "

Parfois, et quand je fais une overdose de La princesse de Clèves et autres facéties de la même verve, je me surprends à lire de la Chick-lit, et ca marche parce que dans la plupart des cas, c'est toujours une bonne purge. Ce roman porte très bien son nom. Lire ce livre jusqu'au bout doit bien vous fait miroiter l'enfer, tellement on s'y ennuie.


Et comme il faut résumer l'histoire: Il était une fois, une jeune fille de dix huit ans qui vivait dans le très chic Paris Ouest, vous savez, celui ou certains parents créent des monstres. Entre deux séances shopping, une ligne de coke, et du foutre en veux tu en voilà, la jeunesse s'ennuie ferme, enchaine les bêtises à trois mille euros l'une vu que du toutes façons, contrairement à d'autres, elle a droit à l'erreur. Et puis un jour, Hell rencontre Andréa, son prince charmant, son alter égo, son... Enfin bref, nous voila en plein dans de la Chick-lit déguisée, mais de la Chick-lit quand même.

On m'accuse souvent de faire de l'élitisme dans mes lectures, et puis, il est vrai que je ne porte pas vraiment la Chick-Lit dans mon coeur (ni la Science Fiction, allez savoir pourquoi), et que je ne m'attendais pas ce que quelqu'un du nom de Lolita fasse des miracles. 
Mais lisez plutôt la suite.

L'histoire n'est pas horrible en soi, c'est, comment dire, cette énumération de noms de boites, d'argent, de coke, d'argent, de marques, de voitures, d'argent encore qui rendent la lecture insoutenable.
Du coup, on se retrouve avec plus de soixante dix pages de rien, fades au possible où vous avez envie de maraver la gamine à coup de pelle pour rajouter un peu de piquant à l'action. 

Ca va soixante-dix pages, c'est pas la mort
,

bon je conçois qu'en effet, ce n'est pas énorme mais quand le livre fait 150 pages à tout casser, il doit bien y avoir un problème quelque part.

Mais non! si tu t'es ennuyée c'est que tu n'as rien compris à la portée de ce roman
, Si si, j't'assure: que l'héroïne utilise argent, voiture, prétendants et j'en passe pour combler un manque affectif, les pages blanches du livre, et un certain vide intellectuel.

Non, franchement, je ne sais pas ce qui me désole le plus dans ce livre. J'exclus l'univers, parce que Mes illusions donnent sur la cour de Sasha Sperling traite d'à peu près la même chose et que j'en avais gardé un souvenir beaucoup plus agréable. Il y a clairement quelque chose dans le traitement de Hell qui me chiffonne: Outre l'aspect pognon pognon pognon, l'imaginaire de Lolita Pille n'est qu'un condensé de bitter-sweet, souvent collant, où le trash se superpose et s'use, ce qui fait qu'au bout de la cent cinquantième éjaculation faciale, vous vous retenez de ne pas vous lancer dans un bâillement à faire trembler les murs.
En fait, je me demande surtout comment on peut écrire un livre avec des ficelles tellement grosses. Si je ne l'avais pas prêté, je vous aurais cité ce merveilleux passage qui fait la description d'Andréa, voyou-tropdaarktropbôw, dont Hell tombe éperdument amoureuse, où l'archétype du Bad Boy dont rêve toute gamine pubère ayant atteint l'apothéose hormonale.

Lolita Pille nous offre donc un roman exhibitionniste, dans le thème petite frappe pour brebis égarées et blasées. En se plongeant vraiment dans Hell, on constate que l'auteure est une pro du degré zéro de l'écriture. Il n'y a quasiment aucune image. C'est vide, ça sonne creux. Autant se rabattre sur Mes illusions donnent sur la cour, dans le même genre mais mieux traité, et qui, bien que moins trash dans la forme à le mérite d'avoir un fond où sur Brett Easton Ellis, maître incontesté du genre.

mercredi 28 janvier 2015

"Elle voudrait juste effacer les gueules grandes ouvertes, les dents et la bave mélangées, ses cris muets et la chaleur humide de ces grands corps trop lourds à porter."


Qu'est ce que c'est: Elle, c'est l'enfant silence, qui vit dans la maison des loups. Elle voudrait parler, mettre des mots sur ce qui lui arrive mais elle ne peut pas, car elle sait qu'on les séparerait.


        La plupart des enfants ont entendu parler du loup, celui que leur parents brandissent comme un grand épouventail à chaque fois qu'ils font une bêtise et dont on a peur mais sans trop y croire.
        Ici, il s'agit d'une petite fille, dont on ne connait pas le nom, une petite fille qui pourrait être n'importe quel gamin prostré dans n'importe quelle cour de récréation. Comme son silence inquiète, on l'emène voir la psychologue de l'école, mais rien n'y fait, l'enfant ne parle pas. Elle cache un secret.
Si les enfants ne croient qu'a moitié au loup, c'est parce qu'il ne l'ont jamais vu pour de vrai.
        Le problème avec le loup, c'est qu'il est toujours plus délicat de ne pas en avoir peur quand votre maison se transforme en caverne et que vos parents ont reveti leurs peaux pour mieux vous hurler dessus, la gueule pleine de crocs, et vont jusqu'à vous...
Je m'arrette ici. Vous l'aurez surement compris, ce petit album à pour objet principal la maltraitance des enfants.

        Compte tenu du tabou qui orbite authour du thème, et du fait que le livre s'adresse à des enfants, je suppose (mais n'en suis pas sure, la jeunesse ce n'est pas mon fort) qu'il faut être très précautionneux lorsqu'il s'agit de mettre ce genre de sujets à table. Ce que j'apprecie dans L'enfant silence, c'est cette subtilité qui lui y est propre, cette façon de tout dire sans même avoir l'air d'y toucher. Les images parlent d'elle même et le texte ne fait pas tache, pas surjoué non plus.
        La plume de Cécile Roumiguière se prête très bien à ce genre d'exercice parce qu'elle allie subtilité et sensibilité à la fois. Le vocabulaire y est simple, à la portée de tous. Il n'y quasiment pas de tournure choquante mais la gravité de la situation est bien présente.
Par ailleurs, j'aime beaucoup comment l'écrivain illustre l'intériorité de l'enfant, sa honte et ses réticences à tout avouer à travers la comptine que cette dernière ressasse mentalement, en y apportant toutes les inflexions propre à la joie et à la tristesse.
         Benjamin Lacombe qui vient parfaire le tout, en superposant les illustrations et les ambiances. Son style est en lui même assez glauque, et le travail de la couleur vient corroborrer le malaise de la jeune fille, même si certains moments sont emprunts d'une grande tendresse (comme l'image ci dessus). Je regrette quand même que l'avant dernière illustration n'ai pas été plus... joyeuse?

Enfin, tout ça pour vous dire qu'il s'agit d'un bon album pour aborder le sujet avec les plus jeunes. Si les illustrations peuvent rebuter certains, Cécile Roumiguière a su arrondir les angles pour nous offrir un bijou de douceur et de poésie.







mardi 27 janvier 2015

"Parce qu'une beauté comme celle qui irradiait de ma mère était nécessaire là-bas aussi. La beauté est nécessaire partout où l'homme se fait animal, partout où on s'efforce d'en faire un démon. "



Il faut d'abord se figurer une petite bourgade en Sibérie. Une antichambre du Goulag où Staline enverrait tous les individus gênants. Petia, huit ans, fait pourtant parti de ces gens là.
Condamné à évoluer dans un monde austère, dont la faim est le pain quotidien, et où la peur et le soupçon sont de mise, Petia tente de rester enfant, à une époque où la plupart des gosses ne savent même plus ce que c'est, l'enfance.

Sans parler de coup de coeur, la plume de Bednarski aura quand même sû nous toucher.
Les Neiges Bleues flotte entre joie et tristesse, bonheur et malheur, sans jamais tomber dans l'excès ou s'enliser dans le registre pathétique. Il le doit d'abord à sa structure qui l'apparente à un receuil de nouvelles et qui pare au risque de longueurs mais pas que.
L'auteur (car oui, il s'agit bien d'un roman autobiographique) aurait pu s'attarder sur les souffrances endurées dans cette antichambre de la mort, et occulter le reste. Au lieu de cela, on suit les frasques de Pétia et de sa bande, leurs jeux d'enfants, leurs joies, leur peines, leurs premiers amours, le tout avec beaucoup de justesse. Les divers épisodes de cette enfance sous Staline sont relatés de sorte qu'ils donnent à voir la cruauté des hommes sans jamais la caricaturer; une cruauté qui, comme le rappelle l'auteur, découle souvent de passions mal éteintes et de plaies béantes à l'âme.

Verser dans le registre pathétique serait contraire à la trempe des Neiges Bleues. Contraire à la volonté de Petia enfant de vaincre coute que coute sa peur des ténèbres. Contraire à cette arcadie humaine -et donc fragile- où le royaume des mères, le règne de la Beauté, feraient bouclier aux abus et à l'opression de Staline. Contraire enfin à l'esprit de ce roman, à l'Espoir qui lui est propre.

Il faut lire ce livre.  Par devoir de mémoire d'abord et contre le négationnisme, parce qu'il nous permet de ressentir la réalité Siberienne à travers la simplicité et la pureté de l'enfance; mais surtout parce que le style de Bednarski invite à la poésie, même dans les periodes les plus sombres, et que cette poésie est toujours un instant de grâce.

N.A


samedi 24 janvier 2015

Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire : Tome 4, Cauchemar à la scierie- Lemony Snicket

Les désastreuses aventures des
Orphelins Baudelaire, intégrale, tome 2
Lemony Snicket
Éd. Nathan, 2014, 580 p.
Quand j'ai vu que Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire avaient été rééditées, et connaissant mon amour pour les jolies couvertures, je me suis décidée à continuer cette saga dont les trois premiers tomes m'avaient laissé un excellent souvenir il y a une dizaine d'année.

Pour ceux qui ne connaitraient pas, voici le fil conducteur de la saga:

Tout commence le jour où leurs parents Baudelaire disparaissent dans l'incendie de leur maison laissant leurs trois enfants à la tête d'une immense fortune. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, leur oncle, le Comte Olaf, compte bien déployer toutes les ruses pour s'emparer de leur richesse.

Nous voila donc repartis pour un nouvel opus des mésaventures de Violette, Klaus et Prunille Baudelaire. Après avoir une fois de plus échappé de justesse aux griffes du comte Olaf, les Orphelins sont confiés à un nouveau tuteur au nom imprononcable, propriétaire des scieries Fleurbon-Laubaine dans la triste bourgade de La Falotte.
Hors de question d'être logés, nourris et blanchis aux frais de l'entreprise. Les orphelins devront travailler pour gagner leur pain, et surtout, réussir à déjouer le dernier coup pendable du comte Olaf.

C'est sans mal que je me suis replongée dans l'univers des Orphelins Baudelaire. La dernière fois que j'en ai eu un entre les mains, je devais avoir douze ans, mais l'auteur nous rappelle l'intrigue, les personnages principaux, enchaine les analepses si bien que j'ai vite retrouvé le fil, que ce soit en terme d'intrigue ou de personnages.
Sur le coup cette petite piqûre de rappel m'a fait du bien, mais quand je pense que l'auteur la réitère a chaque tome, je me dis que ca doit devenir pénible.

Enfin, revenons-en au tome: Sans le trouver très mauvais, je dois dire qu'il ne m'a pas enthousiasmé plus que ça. Le schéma est à peu près le même que dans les trois premiers :

Les orphelins Baudelaire arrivent chez le tuteur (aberrant d'irresponsabilité- eh oui, sinon c'est moins drôle), puis tentent de faire leurs petites vies quand déboule le comte Olaf dans un de ses grotesques déguisements. Comme leur tuteur ne semble pas être disposé a bouger le petit doigt, Violette, Klaus et Prunille allient leurs forces respectives (L'invention, la recherche et la morsure) pour échapper au comte qui, démasqué, finit par filer.


Non pas que cela m'ennuie mais quand l'auteur ne nous donne aucun éléments sortant de ce schéma, ça devient vite plat, et quasi sans interret. Et c'est encore plus énervant quand l'auteur juxtapose des éléments peu crédibles (le coup du chewing-gum... de l'hypnose). On à l'impression que l'auteur s'essaye au fantastique sans grande conviction et le resultat laisse à désirer

Et puis il y a le narrateur, Lemony Snicket lui même, qui se charge de conter les mésaventures des orphelins Baudelaire:

En général j'apprécie le style de Snicket, qui peut se révéler très pince sans rire à certains moments et ce à ma plus grande. Vous n'êtes pas sans l'ignorer, Lemony Snicket est un pseudonyme et qui plus est, un personnage qui n'est pas tout au fait hermétique aux Baudelaire, créé de toutes pièces par le véritable auteur dont le nom m'échappe. J'aime beaucoup l'idée d'intégrer l'auteur à la diégèse. Parallèlement à l'histoire des orphelins Baudelaire est esquissé une autre histoire. Celle de Béatrice,
l'amour perdu de Lemony, et dont la tragique fin semble liée au comte Olaf.
Seulement, Lemony est verbeux, et sa manière d'expliquer tous les termes de plus de trois syllabes d'un ton -que je considère- condescendant m'hérisse. Je sais bien que Les désastreuses aventures des Orphelins Baudelaires sont adressées à un public jeune, mais enfin... On ne peut pas sous-estimer à ce point un enfant. Du coup, certains passages, en plus d'être agaçants trainent en longueur et on a l'impression que Snicket nous donne Cauchemar à la scierie à manger à la petite cuillère.

Déception, donc, pour Cauchemar à la scierie, trop alambiqué pour rien, tant du point de vue de l'histoire que de celui de la narration. Et pourtant, je poursuis la lecture de la saga. Pas tant pour les orphelins (étant donné que la construction de l'histoire est toujours la même) que pour Béatrice, pour  le mystère qui plane sur ses relations avec Lemony et sur les causes de sa disparition.

N.A

dimanche 18 janvier 2015

Librairie: Le Palmarès de 2014

-Est ce que vous auriez des livres littéraires?

*
-Je te félicite pour ta vitrine. Le chat du quartier l'a adoré. Maintenant enlève le vite d'ici.

*
-Mademoiselle, pourriez-vous enlever le célophane qui recouvre ce livre.
-Normalement, je n'en ai pas le droit monsieur mais je vais tout de suite demander à mon supérieur et je reviens.
- Si vous n'êtes pas fichue d'enlever un célophane, je me demande bien ce que vous fabriquez ici. D'ailleurs, à voir votre tête, c'est sûr, vous n'êtes même pas libraire.

*
-Allez choisis un album pour que le monsieur te le signe.
- Mais je vais jamais le lire!

*
-Bonjour, je cherche la biographie de Marguerite Duras.
-Je regrette Madame, mais je ne l'ai pas en stock, et il n'apparait dans la base de donnée, souhaiteriez vous le commander?
-Mais ce n'est pas possible ! Mon amie l'a apperçu sur votre stand à l'instant. Combien est ce qu'il y a de Virgin dans ce Salon?

(Je tiens à préciser que je ne travaille pas au Virgin. Le nom de ma librairie était inscrit en énorme juste au dessus de ma chaise, mais apparement ca ne suffisait pas)

*

-C'était vous qui lisiez Fouad Gabriel Naffah hier? je vous ai ramené son oeuvre complète. Tenez, c'est cadeau.

*

-Dis Madame? Pourquoi il y a un chat dans la vitrine?

*
-Je cherche un coffee table book. N'importe lequel ça m'est égal. L'important c'est qu'il soit beige, vous comprenez? Je viens de repeindre mon salon.

*
- Je voudrais un magazine sur les arts-martiaux et le karaté.
- Je suis désolée, nous n'en avons pas mais si vous le souhaiter et que vous avez une revue en tête, je peux passer une commande.
-Non ça ira. Vous êtes très gentille. Est ce que cela vous dérangerait de me laisser votre numéro? on pourrait aller boire un café après la fin de votre shift.

*
-Je suis juste passé vous dire bonjour et vous remercier pour Anima. Il est ÉNORME.

*