mardi 21 avril 2015

Top ten tuesday: mes dix citations préférées

 Je confirme.
Le sel de l'eau de mer brûle
tout sur son passage.
Il pénètre et tétanise les tissus
et les organes de toutes parts,
cerveau y compris.
Moi je confirme aussi, on s'y fait. 

-Enki Bilal, Animal'z

Aime moi Noire.
Blanche tout le monde m'aimerait.

-Joseph Kessel, Les temps sauvages

Je peuple ma solitude d'autres solitudes et, dans la froide multiplication de mes relations, rien ne fait en sorte que cela change.

-Giulion Minghini, Fake


Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu’aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.

-Marguerite Duras, Hiroshima mon Amour


LE ROI DES ONDINS: Il t'a donné le malheur...

ONDINE: Sûrement. Mais là encore nous sommes chez les humains. Que je sois malheureuse ne prouve pas que je ne sois pas heureuse. Tu n'y comprends rien: choisir dans cette terre couverte de beautés le seul point où l'on doive rencontrer la trahison, l'équivoque et le mensonge, et s'y ruer de toutes ses forces, c'est justement là le bonheur pour les hommes. On est remarqué si on ne le fait pas.
 Plus on souffre, plus on est heureux.
Je suis heureuse, je suis la plus heureuse.

-Jean Giraudoux, Ondine


"- Dites-moi, Raspoutine, vous qui le connaissez bien, a-t-il jamais été amoureux cet homme-là ?
- Si, il y a très longtemps, peut-être… d’une belle jeune fille atteinte de misonéisme. Il ne se passa rien. Dialogue décourageant, ils parlaient peu, se regardaient beaucoup…Et ne se touchaient jamais…comme s’ils avaient une peur morbide, obsessionnelle de se contaminer…Puis la belle jeune fille, surpassant ses phobies, en épousa un autre et l’histoire fit un bond en avant."

-Hugo Pratt, Corto Maltese 


[…] Quand tu penses que je serai à toi, est-ce que tu sens au milieu de toi comme un grand trou qui se creuse, comme quelque chose qui meurt ?

-Jean Anouilh, Antigone 

[…] Je n’ai plus qu’une seule mémoire, celle de ton nom.
 
-Marguerite Duras, Hiroshima mon Amour


"Au delà du silence,
Il y a le bonheur d'être ensemble.
Rien n'est plus beau que d'être ensemble."

 -Wajdi Mouawad, Incendies


"Je vais vous dire le secret, Général. Nous sommes tous restés des petits garçons. Il n'y a que les petites filles qui grandissent. "

- Jean Anouilh, La valse des torréadors


Le Top Ten Tuesday est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini. Ce rendez-vous a initialement été créé par The Broke and the Bookish et repris en français sur le blog de Iani.

dimanche 19 avril 2015

"À la foire, Barbara a perdu ses lunettes, tata Julie m'a perdu, moi, et tonton Joseph a perdu son pari: il avait parié avec papa qu'il n'y aurait aucun problème avec moi."

Eva Janikovski et László Réber,
Je n'en rate jamais une !
La Joie de Lire, 2013, 40 p.
Pour continuer dans la lancée du journal intime, cette semaine de découvrir un nouvel album hongrois, qui obéit à ce même traitement.
Il s'agit de Je n'en rate jamais une !  d'Éva Janikovszky, illustré par Lazlo Réber et publié chez La joie de lire.

Le héros de cette histoire collectionne les marrons et les boîtes d'alumettes. Il ne grandit que le jour de son anniveraire parce que c'est ce jour là que son papa le mesure, il est le premier à commencer la nouvelle année car il est le seul à souffler dans le mirliton à sept heures tappantes, pendant que ses parents dorment encore. Il s'étonne que la maîtresse veuille être sa deuxième maman, et sait aussi que quand son père lui dit "Par ici mon garçon j'ai deux mots à te dire", c'est que "ca va barder", sinon il lui parle dans lui dire qu'il a deux mots à lui dire.

Pas facile alors, de grandir pour le jeune héros, qui, dans une volonté de bien faire, accumule les bêtises. L'album est organisé en plusieurs épisodes, racontés successivement par le petit garçon, un peu comme on raconterait des souvenirs: il n'y a pas de réelle suite entre les épisodes, mais on suppose que les évennements s'étendent sur une année, de la première rentrée du héros aux grandes vacances.
Et en un an beaucoup de choses peuvent arriver: il y a bien évidement l'inauguration de l'année scolaire, les visites de la maîtresse à la maison, la grande soeur casse-pieds, sans oublier l'épisode hilarant où le jeune héros perd son chien Salami et qu'il en rachète deux autres avec son argent de poche parce qu'un chien "c'est un peu comme les lunettes, mieux valait avoir une paire de rechange à la maison." 
Pas grand chose à redire sur cet album, si ce n'est que les illustrations ne sont pas extraordinaires, même si cette simplicité colle très bien avec l'esprit du livre et assure son rôle de transition.
Les histoires de Janikovszky ont généralement trait au quotidien de l'enfant et qui permettent aux jeunes lecteurs de s'identifier au héros. Le traitement de l'histoire fait beaucoup penser à celui des aventures du Petit Nicolas. Le style est candide, et donne lieu à des énormités qui en dérideront plus d'un, et paralèllement, il y a beaucoup de pertinence dans les paroles de l'enfant surtout lorsqu'il s'agit de pointer les failles des parents. Voyez plutôt ce qui suit:

J'étais encore en train de pleurer quand Barbara a fini par me trouver. Elle était chargée de veiller sur moi, et l'émission de variétés venait sans doute de se terminer.

Barbara on a fait le tour du parc en sifflant mais ce n'est pas Salami qui est arrivé, mais papa, qui nous cherchait partout parce qu'il était chargé de veiller sur nous.

La prochaine fois que je voudrai jouer les grands, je veillerai sur moi, c'est plus simple.


Drôle et attendrissant, jouant avec les limites du politiquement incorrect, Je n'en rate pas une ! est un album universel qui malgré la densité de son texte se dévorera très vite et saura, j'en suis sûre, faire sourire les lecteurs les plus récalcitrants.

N.A

*        *        *


Cet album à été lu dans le cadre du challenge Avril en Albums
initié par Bookwormette

lundi 13 avril 2015

"J'ai été élevé par des clowns, des bouffons, des comédiens et un homme-canon, et c'étaient les plus tristes créatures que j'aie jamais vues."

Rawi Hage, Carnival City
Editions Denoël, 2014, 343 p.
Dans Carnival City, Rawi Hage nous fait sillonner une grande ville nord américaine aux cotés de Fly, un taxi de nuit singulier, toujours à l'affut de nouveaux passagers, d'histoires. En résultent bien des rencontres, bonnes où mauvaises qu'importe, puisqu'elle sont toutes bonnes à raconter.

Fly est né dans un cirque. Enfant, il lit les fables de La Fontaine aux singes, se promène devant les cages aux fauves, grandit dans la roulotte de la femme à barbe.
Fly est une mouche. Probablement à cause de son enfance de nomade. Les mouches [...], se meuvent sans discontinuer. Demeurer sur place est, pour elles, impensable. Le mouvement leur est vital. Ainsi, notre personnage principal sillonne les rues bourdonantes de la grande ville à la recherche de nouveaux passager qui défilent sur sa banquette: prostituées, ivrognes, gros bonnets, baron de la drogue ou fils à papa.
À ses heures perdues, il passe son temps à se masturber sur le tapis de son père en s'inventant des scénarios pour le moins épiques dans son appartement-bibliothèque qui regorge de trésors.
Dans un registre qui invite l'hallucinatoire dans la réalité, la poésie dans les bas-fonds de la ville, Fly nous raconte l'histoire de ses courses nocturnes lors de la saison du carnaval, celle des passagers qu'il rencontre, et se fait défenseur de l'orphelin, du clochard et de la putain à l'occasion. Le tout dans une esthétique copulative, doublée d'une langue riche, entre grandes envolées et humour noir, aussi foisonnante que la faune qu'il cotoye au fil des chapitres.

À l'image du carnaval, et de cette humanité en mal d'amour qu'elle cherche à rendre, l'écriture de Carnival City part un peu dans tous les sens. En découle une construction romanesque assez morcelée et sans véritable continuité, à l'exception de certains personnages qui refont surface au fur et à mesure que les pages défilent. Il y a là un souci de réalisme, une volonté de rendre les rencontres d'un chauffeur de taxi, leur brièveté et leur ponctualité, mais cet éclatement de la structure pourrait en dérouter plus d'un, en particulier lorsque l'auteur prive le lecteur des outils lui permettant de tisser des liens avec ses personnages (j'ai moi même décroché plusieurs fois avant de pouvoir le terminer).
On parvient finalement à s'attacher à Fly, mais il s'agit encore une fois d'un couteau à double tranchant: soit on aime, soit on déteste. Je fais partie des premiers, j'a toujours eu un point faible pour les anti-héros. Fly n'est pas un enfant de choeur, la noirceur du roman en témoigne, et pourtant il a quelque chose de sacrificiel, presque... divin.

Malgré sa noirceur, il y a une véritable ode à l'altérité dans le dernier roman de Hage. Le lecteur est ancré dans le réel. Il ouvre les yeux sur les problèmes sociaux d'une époque où s'insécurité est reine, et il y a dans ce livre quelque chose de la dystopie. Entre drogue, caïds d'un soir, jeunes demoiselles en détresse, racisme, abus en tout genre et j'en passe, le bilan peut sembler bien pessimiste. Mais plus que cela, Carnival City est une invitation à voir au delà de la masse pour mieux s'interesser à l'individualité de chacun dans toute sa différence, ses moments de faiblesse, de désespoir, pour parfois entrevoir le sacré dans tout ce qu'il a de plus primaire.

N.A

Ce livre à été lu dans le cadre du Challenge Projet 52.

vendredi 3 avril 2015

« Je m’appelle Poucet, Petit Poucet. Mais le plus souvent, père et belle-maman (qui n’est pas belle pour un sou mais moche comme un pou) ainsi que mes six frères m’appellent autrement. Pas une journée sans que l’un d’eux n’ait une nouvelle idée. »

Philippe Lechermeier et Rebecca Dautremer,
Journal secret du Petit Poucet, Gautier-Languereau, 2009
Mise à part sa petite taille, Poucet est un petit garçon comme les autres.

Enfin, presque. 

Depuis la grande pénurie, il n'y a plus rien à manger dans son village : lui et sa fraterie n'ont pour toute nourriture qu'un grand bol d'air frais pour petit déjeuner et pour diner, de la soupe au choux, au clous, aux cailloux, et parfois, à rien du tout. Même que son professeur, tenaillé par la faim, a essayé de manger son frère Boris, et que depuis, l'école est fermée.
Heureusement, Poucet à des copains, plein de copains avec qui faire les quatre-cent-coups.
Bien entendu cela pourrait être pire.
Et le pire arrive, le jour où belle maman (qui n'est pas belle du tout mais moche comme un pou) décide d'abandonner Poucet et ses frères dans la fôret.



            Philippe Lechermeier,  choisit de nous raconter l'histoire à travers les yeux du principal interressé, le point de vue de Poucet lui-même, en la présentant sous la forme d'un journal intime.
Ce choix accouche d'un récit très dynamique, composé de chapitres courts (une page pour chaque jour), où la narration se fait extrêmement vivante.
Pour raconter ce conte de fée que nous connaissons tous, l'auteur choisit la voix du petit Poucet, une voix enfantine où transparait quelque fois l'ironie lorsque le jeune héros considère le monde des adultes, la guerre, les relations humaines.
Le lecteur ne peut que plonger dans l'univers de l'enfant et découvre sa bourgade, ses six frères, et ses copains étrangements familiers: Yvain et Gauvain de la caserne, Tristan et Yseult.
Il rit des jeux de mots du petit Poucet, sourit aux référence littéraires qui parsèment le récit, des reflections du protagoniste, de la liste de ses plus grand bonheur et des plus grands malheurs. Le tout mélé au talent de Rebecca Dautremer (qu'on ne présente plus) et qui met ce conte en image à coup de magnifiques illustrations, toutes dessinées à la main avec des mediums tout ce qu'il y a de plus classique (dessin, peinture, collages; si, si, je vous jure), dans un style foisonnant de détails qui allie parfaitement mélancolie et humour.

            Après un Cyrano truculent, et une Alice merveilleusement illustrée, Rebecca Dautremer et ses amis conteurs s'attaquent une fois de plus à une figure mythique de la littérature. Résultat? Un album à dévorer avec les yeux, tant au niveau du texte qu'au niveau des illustrations, d'un comique qui surprend, bref une réécriture très moderne et étoffée du Petit Poucet qui ne jure pas avec le conte original. Tout en y ajoutant de la douceur, beaucoup de douceur.
Un must plein de surprise pour les enfants et les grands enfants. Et qui sait?
Peut-être comprendrez-vous aussi ce qui est réellement arrivé aux miettes de pain semées par Poucet.

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Cet album à été lu dans le cadre du challenge Avril en Albums
initié par Bookwormette