lundi 6 octobre 2014

L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer[…] L’humain et un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.

 Lorsqu’il découvre le meurtre de sa femme, Wahhch Debch est tétanisé : il doit à tout prix savoir qui a fait ça, et qui donc si ce n’est pas lui ? Éperonné par sa douleur, il se lance dans une irrémissible chasse à l’homme en suivant l’odeur sacrée, millénaire et animale du sang versé. Seul et abandonné par l’espérance, il s’embarque dans une furieuse odyssée à travers l’Amérique, territoire de toutes les violences et de toutes les beautés. Les mémoires infernales qui sommeillent en lui, ensevelies dans les replis de son enfance, se réveillent du nord au sud, au contact de l’humanité des uns et de la bestialité des autres. Pour lever le voile sur le mensonge de ses origines, Wahhch devra-t-il lâcher le chien de sa colère et faire le sacrifice de son âme ?


            Les mots me manquent, et ne rendent probablement pas justice à cette oeuvre énorme qu'est Anima. Je me la figure comme un puzzle complexe à reconstituer, une lecture dont on ne ressort pas indemne. L'histoire d'une reconquête.
            Si les éditeurs ont qualifié Anima de roman minotaure, c'est tout d'abord parce que son auteur, Wajdi Mouawad nous livre un récit cruel et monstrueux, où l'homo sapiens sapiens, bête pensante et apeurée, se livre aux pires crimes envers sa propre nature.
Le minotaure fait surtout écho au personnage de Wahhsh El Debch ([وحش الدبش] traduit littéralement par monstre brutal) qui découvre sa femme morte dans son appartement. Le choc fait alors rejaillir un épisode, tout aussi sombre qu'inhumain, de son existence. Une scène refoulée dans les replis de l'enfance qui va le pousser à rembobiner  le fil d’Ariane pour retrouver son identité perdue des suites d'un traumatisme indiscible. Comment alors ne pas faire le rapprochement entre l'enfant monstre de la légende, fruit de l'inavouable- inceste de Pasiphaé-, enfoui au fond du labyrinthe et la mémoire des profondeurs de Wahsh, une mémoire ensevelie, prisonnière du labyrinthe du refoulement.

La rédemption ne sera pas indolore, et Wahhsh devra à son tour libérer quelque chose d'infiniment violent pour retrouver son moi enfoui et être finalement rendu à la lumière et tendre vers le salut. 
      La narration vient corroborer ce terme de minotaure. Elle est tout simplement hybride (et donc monstrueuse) , reléguée durant les deux tiers du roman à des animaux- un cheval, une araignée, un chat et j'en passe,  ayant tous rencontré le personnage principal dans sa double quête de vérité- avant que l'homme, animal parmi les autres ne prenne le relais. Rien n'est laissé au hasard, et surtout rien n'est gratuit. C'est pour cela que je recommanderai de lire Anima deux fois. Le récit est tout bonnement magistral, chaque chapitre sent la peste et le carnage, amorçant le Grand Final. On ne m'y reprendra plus.
            La puissance d'Anima, réside par ailleurs dans la représentation et la tentative d'explication des mécanismes de la violence, thème cher aux auteurs libanais contemporains de la guerre civile de 1975, déja esquissé par Ghassan Fawaz  dans Les moi volatils des guerres perdues (paru au Seuil en 1996 ). Mouawad tente en effet de mettre des mots sur le tabou de l'endoctrinement, sur ce qui nous pousse à égorger un frère. La catharcis est aussi omniprésente dans le roman tant par le thème abordé, que par la brutalité de son traitement. L'oeuvre met aussi des mots sur l'hécatombe des camps palestiniens de Sabra et de Chatila au Liban en 1982 et pose de ce fait le problème d'une société où depuis 1991, rappelle Wajdi Mouawad, "L'amnistie  est devenue  amnésie" , et où l'ensevelissement de Wahhsh vient corroborer le déni confortable de toute une nation.
           Bien qu'il ne soit pas à mettre entre toutes les mains, ce livre reste un monument. Le roman dérange, parce que posant le doigt sur l'épicentre de notre nature. Parce qu'il donne à voir l'hybride en colère, cet enfant monstre rempli de peur enfoui en chacun de nous.
            Anima est certainement le livre que j'aurai le plus recommandé cette année, et que je recommanderai probablement pendant longtemps encore
.


                                                                                                                                      N.A








Bontée divine ! Elle est une noix pourrie, dit Mr Wonka. Sa tête a dû sonner bien creux.

Le résumé made in Gaspard: Le héros éponyme est un petit garçon dont la famille ne roule pas sur l'or et c'est peu dire. Avec un salaire pour sept, difficile en effet d'echapper à la misère et Charlie se voit obligé de dormir à même le sol et de se farcir une eternelle et peu appétissante soupe au choux a tous les repas.
La souffrance aurait pu s'arrêter là.
Mais sur le chemin de l'ecole, les effluves de la mysterieuse chocolaterie du grand Willy Wonka, artisan confiseur, viennent titiller son odorat et surtout son estomac.
Le fait est que les parents de Charlie ne peuvent se permettre que de lui acheter une seule tablette, qui constitue son seul et unique cadeau d'anniversaire.
La vie aurait pu continuer son cours jusqu'au jour où le mysterieux Mr Wonka décide d'ouvrir les portes de sa toute aussi mysterieuse chocolaterie aux cinq heureux élus qui auront trouvé les tant convoités tiquets d'or dans l'emballage d'une confiserie Wonka...



L'avis de Gaspard: Charlie et la Chocolaterie est une espèce de conte moderne.

Le héros, issu d'une famille très (très, très, très, très) pauvre, se voit donner la chance de visiter la Chocolaterie de monsieur Wonka, visite au terme de laquelle il se verra récompenser.
Seulement voila, le parcours est semé d'embûches à commencer par les quatre autres enfants, aussi insupportables les uns que les autres, qui visitent simultanément l'étrange fabrique la chocolaterie elle même, aussi enchanteresque que dangereuse, car lieu de toutes les tentations. L'epreuve ultime que le héros devra remporter, c'est la chocolaterie elle même et comment en ressortir indemne.

Le manichéïsme apparait alors comme le mot d'ordre de Roald Dahl concernant le traitement des personnages, rendant l'equation du roman simpliste: Les méchants enfants sont punis par la ou ils ont péché et Charlie, sage, à la limite du placide se fait recompenser pour toutes les souffrances endurées. Willy Wonka fait alors figure de bonne fée, en offrant à Charlie sa chocolaterie , et en y installant ses parents à l'aide du grand ascenseur en verre, d'ou le renversement de situation. 
Or c'est justement ce simplisme et cette tendance moralisatrice que nous pourrions reprocher à l'auteur, qui en limitant l'épaisseur de ses personnages rendant son intrigue beaucoup trop prévisible, et le parcours de la chocolaterie, qui devrait être une véritable explosion de saveurs se reduit à un enchainement d'actions aussi prévisibles qu'insipides.

Et c'est dommage, car les autres thèmes rapportés par le roman s'y perdent. Charlie et la chocolaterie, qui revisiterait le conte de Cendrillon, traite de sujets plus serieux, et nous ne pouvons nous empecher de voir dans les Oompa Loompas une allusion à l'esclavage, et dans l'ascenseur en verre une représentation à peine déguisée de l'ascenseur social. L'ironie est bel et bien présente, mais pas assez mordante, et l'auteur déçoit si l'on compare le roman a Mathilda.

Charlie et la chocolaterie aura au moins eu le mérite de m'avoir fait manger du chocolat. Et comme pour le roman, je crois que ce n'est pas trop mon truc.

                                                                                                                                               N.A