samedi 15 février 2014

Du quatrième mur, du Choeur, de la Guerre et du Pathos

 




















Le quatrième mur Sorj Chalandon
Ed. Grasset, 2013, 330 p

 
"Le quatrième mur est un écran imaginaire qui sépare l’acteur du spectateur. Parallèle au mur de fond de scène, il se situe entre le plateau et la salle, au niveau de la rampe. Le public voit alors une action qui est censée se dérouler indépendamment de lui. Il se trouve en position de voyeur : rien ne lui échappe mais il ne peut pas intervenir. Le personnage peut briser cette illusion en faisant un commentaire directement au public, ou bien en aparté.”

Le quatrième mur, c’est aussi un roman de Sorj Chalandon, paru chez Grasset en 2013. Il y est justement question de monter l’Antigone d’Anouilh en pleine guerre civile libanaise, en plein centre de Beyrouth, sur la ligne de démarcation.
Le projet utopique s’il en est, il est le fruit des rêves pacifistes d’un certain Samuel Akounis.
Samuel Akounis est juif (ou un juif?) rescapé des geôles des colonels grecs. Réfugié à Paris, il se lie d’amitié avec Georges (militant gaucho, pion le jour, tabasseur de néonazis la nuit).
Celui-ci l’entraine dans les escapades utopistes des derniers survivants de mai 68. En échange, Samuel, sur son lit de mort, lui fait promettre de veiller à ce que la pièce soit montée.
Ni une ni deux, George va à Beyrouth avec dans son sac, une copie d’Anouilh, texte qu’il vient de découvrir. Sur place, il rencontre les acteurs piochés dans les différents camps de belligérants par Samuel.
Pour faire bref, l’histoire se termine mal, tout le monde meurt.

Il semblerait que Chalandon, à travers un récit bardé de vérismes déguisés en hypotyposes ait choisi la problématique pas très originale de la guerre comme tragédie, ou du tragique de la guerre, ou de la fatalité de la violence en temps de guerre.
Peu importe, car dans tous les cas, nous ne rencontrons que des clichés cent fois ressassés de personnages sans grande épaisseur psychologique où le lecteur occidental bien-pensant se trouvera réconforté puisque les méchants sont toujours les mêmes, et que les innocents sont toujours attendrissant et se font toujours buter.
Si les motivations de l’auteur sont celles de montrer que la violence n’épargne personne, cela aurait marché dans un autre contexte. Seulement, celui de la guerre civile libanaise est tellement plus complexe que le réduire à une description manichéenne et supposer que tout pourrait être réglé sur les planches est d’une naïveté qui ne sied qu’aux manifestants du dimanche, défenseurs de la veuve et de l’orphelin par correspondance. Mais loin des discours politiques, le roman souffre surtout d’un simplisme à plusieurs niveaux:

Les personnages manquent d’épaisseur psychologique, leur motivations sont souvent floues et ils n’ont aucune vision du futur. Ceci empêche le lecteur de se projeter et d’éprouver une quelconque sympathie à leur égard, problème qui n’est pas résolu par des descriptions de la violence qui frôlent le pittoresque voire l’exotisme et qui éloignent ce récit de l’empathie et le rapprochent plutôt d’un exhibitionnisme très contemporain digne des téléréalités saturées de pathos.
Et puis, dans le roman, Georges est supposé être le Choeur. C’est Samuel qui en a décidé. Mais Georges a un mauvais coeur, c’est la première faillite, l’origine de l’échec. Au lieu de narrer Antigone, Georges prend part à la guerre, il se salit les mains et rencontre, comme tous les autres, une fin à la démesure de l’Histoire. Dans l’Antigone d’Anouilh, le chœur intervient au début du texte pour nous situer le contexte de la pièce et nous présenter les personnages qui y évoluent. Il réapparaît par la suite tout au long de la pièce pour faire avancer le récit ou amener un personnage à la réflexion… Le roman commence ainsi… et se termine de la même façon; seulement entre-temps, le Choeur a pris part aux jouissances, il s’est perverti, mais peut être l’était-il déjà avant. En tout cas, il ne remplit pas son rôle et toute l’histoire s’en trouve déstabilisée.
Georges a failli à sa mission. Sorj aussi. Les personnages ne sont pas de taille, les rêveurs sont mièvres, le roman insuffisant, la démarche simpliste. La guerre ne s’arrêtera pas pour le théâtre, il n’y aura pas de catharsis, le quatrième mur ne protègera pas les spectateurs. Le quatrième mur est tombé.
“Tous ceux qui avaient à mourir sont morts […] Morts pareil, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer à les oublier et à confondre leurs noms. C’est fini.”

N.A

Serge Harfouche

Désamour et palme d'or

Amour est de ces films qui, s’inscrivant dans la lignée de “Halt auf freien Strecke ”, invite le spectateur à contempler la mort. Rien que ça.

Tout d’abord, petit aperçu synoptique: Georges (Jean-Louis Trintigant) et Anne (Emmanuelle Riva) sont octogénaires, cultivés, bourgeois et mélomanes . Anne est victime d’une attaque cérébrale dont la conséquence est l’hémiplégie. L’amour du vieux couple est donc mis à l’épreuve.

D’emblée,  le réalisateur nous met face à une espèce de cul-de-sac stérile, lorsque les pompiers découvrent le cadavre d’Anne, et l’entrée en matière, (qui est en réalité la fin du film) des plus crues, nous confronte à l’inevitable mort du personnage.
La tragédie annoncée , c’est alors qu’apparait le titre sur fond noir, austère et morne au possible comme l’est d’ailleurs l’oeuvre.
Amour traite de la mort, c’est dit cash, parce que la subtilité, Haneke ne connait pas, et que c’est pour les tapettes.

Aussi assiste-t-on à une espèce de retour dans le passé, un (très) long flash back (125 minutes, oui, oui) qui relatant le fil des évennements menant à la déchéance d’Anne.

Certes, le film commençait plutot bien.
A vrai dire, il commençait même très bien. La porte de l’appartement du vieux couple eventrée au début du film donne le “La” et annonce la suite des évenements. Cette porte béante, forcée lors d’un cambriolage est la représentation même de la maladie qui encorne la vie de couple, l’éventre et la laisse soumise au regard des autres, de l’autre, à l’annihilation de l’intimité du couple, au sac de son intégrité. Il s’agit là de la meilleure métaphore du film. Le trait d’esprit de Haneke s’arrette malheureusement là. Dès la première attaque d’Anne, le spectateur est pris en otage par un réalisateur sadique, qui fait défiler les images et les situations les plus sordides dans un “pseudo souci documentaire”, et le public a donc bien evidemment droit aux jambes fripées d’Emmanuelle Riva faisant ses exercices, ou mieux encore, à la cultissime scène des chiottes où Georges relève Anne de son trône, pour l’aider à se torcher.
Comme pour dans "Pour Lui", la caméra de Haneke devient oeil naturaliste, froid, et on se pose même la question quant-à la fonction d’un tel film, qui n’est ni cathartique, ni divertissement et qui prend des airs de torture, pour les personnages, comme pour les spectateurs.
Le public souffre avec les personnages, il souffre de sa condition de mortel, souffre de la longueur du film, de son thème, de la routine qui s’installe entre Jean Louis Trintignant et d’Emmanuelle Riva, de cette même routine qui verse dans un sordide dont il se serait bien passé. Surtout, il souffre de vouloir mettre un terme à cette routine, d'en venir à souhaiter la mort du personnage, d'être un fils de pute.
Bref, du grand Haneke.


Je ne sais pas si la critique ayant qualifié “Amour” de film empathique avait réellement vu ledit film. Haneke pousse le vice jusqu’au bout, et à part se demander quel plaisir pourrait-on avoir à filmer ce genre de choses, le spectateur, dont le surmoi s’endort (parfois) se retrouve pendu à l’écran en croisant les doigts pour que la vieille bique crève le plus rapidement possible (j’ai moi même trouvé le climax du film -la baffe qu’elle se prend- particulièrement jouissif, allez savoir pourquoi).
Je pense personnellement que Haneke aurait du se limiter au caractère documentaire de son film, mais ce dernier a la prétention de vouloir faire dans le subtil, qu’il ne maitrise guère, sacrifiant l’implicite au profit de la facilité, en explicitant constamment par le biais de plans inutiles au possible. Je parle là du pigeon qui apparait deux fois dans le film et qu’on a tous voulu dégommer au shotgun, et où Haneke se croit obligé de faire préciser a son personnage qu’il a relaché l’oiseau par le biais d’une lettre et des irrémediables flashback, Haneke essayant de nous faire avaler “Amour” à la petite cuillère. Ceux qui auront eu le courage de regarder le film jusqu’au bout se souviendront de l’analepse débile où Anne, venant de se faire zigouiller par Georges, étouffée par son oreiller, lui apparait, le réalisateur reprenant un plan du début du film pour signifier que ce dernier l’a tué par “Amour”, et prenant de ce fait le spectateur pour un con, l'idée étant le leitmotiv du film.

Je me demande enfin quel est l’interêt de voir ce genre de films, n’ayant pu m’expliquer la démarche de l’auteur realisateur, si ce n’est recycler "Halt auf freien Strecke " (“Pour Lui” en VF), l’emotion et la compassion en moins, et de crâner à coups de cru, et de froid.
L’experience n’ayant rien d’agréable je ne comprends pas pourquoi se l’infliger gratuitement. Quitte a filmer ce genre de thèmes, autant se detacher de la froideur, du macabre insidieux, et sortir des sentiers battus.
Mais Haneke aime la facilité, le grand public aussi.

Quand l'horreur frise le ridicule (World War Z)

Je le clame haut et fort, ce film est l’une des pires sorties en salle de l’été 2013.

Il est clair qu’avec son scénario complètement décousu d’un point de vue spacio-temporel (de Philadelphie au pays de Galles, en passant par la Corée du Sud et par Jerusalem), ses zombies minables, dont les cris font plus rire les spectateurs qu’autre chose, l’absence flagrante de gore, l’inexistance de la moindre éclaboussure de sang le rendant accéssible à n’importe quel gamin de 13 ans, World War Z tendait la perche pour se faire battre.
Le film s’articule autour de deja-vus recyclés, en espérant donner de la consistance à une adapatation bancale du livre de Brooks et dont le plot se résume en quelques mots: Une épidémie frappe le globe et se manifeste par la mutation des êtres humains en zombies, le phénomène se propageant par contagion, par morsure justement, un peu comme la rage. Les zombies en question, voient leur agréssivité développée au moindre bruit, et les Nation Unies font appel à Gerry (Brad Pitt) pour découvrir l’origine de ladite épidémie, et trouver moyen de la contrer.

Je n’aime pas.

Je n’aime pas les clins d’oeils hyper imperialistes qui abondent dans le film (la Corée du Nord montrée du doigt, quant à la possible origine du virus).
Je n’aime pas le manichéisme ambiant, qui fait que Brad Pitt se retrouve défenseur de la veuve et de l’orphelin, surtout quand ce dernier s’avère être hispanique immigré, le tout servant à renforcer l’archétype du gentil américain, doublé de son aspect misogygne.
Je n’aime pas non plus comment les Nations Unies choisissent le roi des trous du cul pour accomplir la mission, Gerry étant à l’origine de nombreuses bourdes, ayant couté la vie à plusieurs personnages, notamment le coup du téléphone portable (les personnes ayant vu le film me comprendront), et la manie du héros à faire tomber toute sortes d’objets de manière à attirer le plus de morts vivants possible, ayant pour but de meubler un cruel vide scénaristique, le film se réduisant à un enchainement de courses poursuites banales, d’actions ayant pour but d’étouffer la réfléxion.
Je déplore le fait que le réalisateur survole la géopolitique du monde autour de laquelle s’articule l’action, rendant le cadre trop lisse, à la limite du mignonnet, et où même les zombies n’arrivent pas à sortir le spectateur de sa torpeur.

Pas effrayants pour un sou, les mort vivants de WWZ, film qui a décidément du mal à s’affirmer en tant que film d’horreur et de science fiction, me rappellent décidément trop les “nazi zombies” du mode “coop” de Call of Duty, et leur cris de maman T.Rex, ne sont pas là pour les crédibiliser, bien au contraire. La désolante absence de gore, elle, ne vient visiblement pas arranger les choses, et les pauvres zombies de WWZ n’effraient décidément personne, ce qui en fin de compte est bien triste pour eux.
Je cite ici le passage ou notre cher Gerry s’enferme dans un laboratoire et ou un mort vivant bien dégarni le scrute de l’autre coté de la vitre en claquant de la langue contre le palais, et déjà, je ne peux m’empecher de visualiser mon chat émetant le même son, pour témoigner de sa frustration lorsqu’il poursuit une mouche pendant des heures, sans parvenir à l’attrapper.
Parlons d’ailleurs de cette scène, qui ammorce le dénouement de notre histoire, dénouement des plus minables du fait qu’il ait été visiblement baclé par la réalisation du film.

Pour parer à l’apparent vide intellectuel caractéristique des personnes ayant adapté le roman de Brooks au grand public, Hollywood bacle une fois de plus la fin, et assoit définitivement WWZ a la table des plus grosses bouses de la décénie de 2010.

Avant je me permet encore de spoiler le film (vous ne ratez rien) pour mieux vous illustrer la situation et peut être comprendriez vous ma detresse face a une adaptation trop légère, bien trop légère, sans queue ni tête, mais surtout sans aucune logique, les personnages étant tous dénués d’un tant soit peu de bon sens.

Gerry, le héros apprends pendant son séjour en Corée du Sud que les morts vivants envahissant la planète n’attaquent qu’en présence de bruit, ce qui ne l’empechera evidément pas d’oublier son téléphone portable allumé en cherchant à atteindre son avion, la sonnerie de l’appareil provoquant l’acharnement d’une horde de zombies sur l’équipage étant chargée de la protection de la base.
Celui ci se rend à Jerusalem, suivant les conseils d’un prisonnier ayant perdu la tête (cette scène n’etant qu’un copié collé idiot du silence des agneaux, moins la finesse d’Hannibal Lecter), le tout evidemment sans poser de question.
Une fois arrivé la bas, il ampute une soldate de Tsahal du bras, celle ci étant mordue à la main, et lui affirme plus tard qu’il n’avait aucune garantie de la sauver par son acte de bravoure barbare.
Dans l’avion Biélorusse (dont je me dois de souligner l’incompétence  de l’équipage, qui vous donne envie de traverser l’écran pour secouer un peu ce pauvre pilote), il fait exploser une grenade provoquant un attérissage forcé dans lequel il manque de perdre la vie, puis finit par déambuler dans les couloirs d’un centre de recherche Gallois, avec pour tout arme un pied de biche (left for dead), et finit par choisir au pif de s’injecter une maladie infectueuse en “présumant” que les zombies ne contaminent que les porteurs sain, tout en risquant de s’infliger une maladie mortelle.
Bien evidement, le héros choisit comme par hasard le bon flacon, trouve le remède et les survivants continuent à perpétrer son exemple.

Le film se clot sur un discours superficiel d’une voix off, prêchant quelques valeurs rabachées tout au long de nombreux films, les pires clichés que l’on recycle encore et encore pour meubler le silence, le vide. Ne me demandez pas de quoi il s’agissait, j’avais déja décroché.

Bref, ne pas se déranger.


N.A