lundi 21 juillet 2014

Battle Royale- Koushun Takami & Masayuki Tagushi

Ce que c'est:

        Imaginez vous vivant sous une espèce de dictature au nom pompeux de "République de l'Est". Une dictature qui redoute un coup d'état, et surtout la jeunesse, plus encline a se poser les bonnes questions.
         Maintenant, fermez les yeux bien fort et imaginez que ladite dictature crée une "loi" pour vous dissuader de la renverser. Une loi appelée Battle Royale qui consiste à kidnapper chaque année une classe de troisieme et de les enmener loin de chez eux (de préférence sur une ile prévue pour ce qui va suivre)...
        ...pour ensuite les forcer à s'entretuer dans une espece de jeu macabre où le vainqueur devrait avoir tué tous ses petits camarades de classe pour esperer gagner le jeu et rentrer chez lui.

Miam miam !

Le manga est une adaptation du roman de Koushun Takami (du même nom). Il y a même eu un film (que j'ai trouvé génial et dont je parlerai si jamais j'ai l'occasion de le revoir). Et plus récement, Hunger Games, mais rien que d'écrire ce nom sur cette page me donne l'impression de la polluer donc je ne vais pas prolonger la torture plus longtemps.   

Ce que le Céphalopode en pense:

Je l'ai lu il y a des années déjà. Les impressions qu'il m'en reste ne sont plus très "fraiches", mais demeurent des souvenirs, une espèce d'engouement acharné pour un manga qui changeait des shojo à la Nana que je lisais.

Sur le coup j'avais trouvé l'intrigue géniale, une espèce de sublimation. En le relisant, toujours la même reaction. Pas de noeud à la gorge, juste un plaisir malsain à tourner les pages.

Le concept est rudement bien pensé:

   -Les armes sont distribuées au hasard, et le facteur chance joue beaucoup (l'inventaire va de la  kalashnikov à la fourchette, en passant par des objets complètement inutiles genre mégaphone- qui soit dit en passant est une grosse arnaque, et qui allait forcément tomber entre les mains d'une cruche-)
   - Les collégiens sont munis chacun d'un collier sensé donner la position de chaque élève aux organisateurs: Bourré d'explosif, il se déclenche lorsqu'on essaye de s'en défaire (ou de s'enfuir).
Mes parents aurait du tenter la même chose pour surveiller mes allées et venues le soir.
  - Ce collier est un petit bijou de technologie. Si personne n'est tué en 24 heures, les colliers de tous les belligérants explosent. Histoire d'enterrer une bonne fois pour toute les ideaux pacifiques.
  - J'allais oublier de préciser que l'île qui sert d'arène est délimitée en zones. Plus le temps passe et plus lesdites zones deviennent interdites. En somme, si vous mettez les pieds dans ces no-man's land, votre collier explose et votre voisin de table aura toute les chances de retrouver votre tête à quelques mètres de là.

Les grandes lignes sont solides. Aucune issue possible. A première vue ça avait tout pour me plaire.

Bien que n'étant pas fan du dessin (J'ai trouvé les personnages hideux, des espèces de pantins hydrocéphales, Balthus peut aller se rhabiller), le support de cette adaptation la rend très graphique genre sex, gore and mass shooting, (les paysages étaient plus que très reussis mais on s'en foutait parce que ce qui nous interessait vraiment c'etait le sang et les nanas à poil) . 

    C'était trop beau pour être vrai, il fallait bien que ça s'enraye quelque part. En fait ca coincé tres vite. A cause des personnages qui vont de insignifiants à tout à fait insuportables. Je m'explique:
D'un coté il y a les "gentils"...: Shuya Nanahara et sa copine Noriko, le rockeur pacifiste et la lèche-cul de service. Deux grosses tartes; le genre à se foutre dans des situations impossibles au noble nom de ce que j'appellerai la dignité humaine. Attendrissants et altruistes au possible. A la limite du dégoulinant. On aurait même envie de leur foutre des claques pour qu'ils se ressaisissent un peu.
... et les grands méchants, genre Kiriyama insensible et ses super-pouvoirs de power-ranger le rendant indestructible, et de ce fait, monstrueusement superficiel et ennuyeux.
Pour sortir du manichéisme, il y a aussi les monsieur tout le monde, en apparence sans histoires mais ayant choisi de se plier aux règles du jeu, monsieurs-tout-le-monde qui auraient mérité d'être exploité plus largement mais qui, à défaut de cela, se sont révélés beaucoup trop archétypaux.
Il devait y avoir une réelle volonté de nuancer entre les gentils et les méchants, mais l'auteur se contente  hélas de superposer les drames, jalonnant le passé des personnages pour tenter d'expliquer la transformation d'une gamine dans histoire à serial-killeuse: Sôma, violée à répétition durant son enfance (une fois n'est pas coutume, et il faut croire que ca ne suffisait pas à attendrir le lecteur), et rendue antisociale des suites du traumatisme, devient vite un pretexte pour pimenter l'histoire à coup de sexe, survolant les mécanismes de la violence en les noyant dans le voyeurisme malsain. Trop de trop tue le trop et c'est bien dommage.

Le dénouement est prévisible dans les grandes lignes mais surprenant dans le traitement.
Au final, je dirais que j'aurais pu apprécier le manga si l'auteur n'en avait pas fait un tourne-page commercial, mièvre et sentimental au possible force de ficelles tellement grosses que le lecteur ne peut pas se faire sa propre opinion sur les personnages, poussés jusqu'à la caricature à gros coups de sentimentalisme.

Plein de bonnes intentions étouffées dans l'oeuf. Il vaudrait mieux lire le roman, plus sec certes, mais bienvenu apres cette overdose de pathos.
                                          
                                                                                                                                        NA

dimanche 20 juillet 2014

Chrono-Chronique: Mémoires d'outre-espace (histoires courtes 1974 / 1977)- Enki Bilal



Couverture Mémoires d'outre-espace
Fan de Bilal depuis Monstre et Julia et Roem, et surtout pour son coup de crayon, je me suis précipitée dessus . On voit dès lors le gout manifeste de Bilal pour la science fiction, et adepte des dystopies futuristiques je n'ai pas eu trop de mal à m'y plonger. La BD se présente sous la forme de plusieurs nouvelles, certaines très bonnes au niveau de l'intrigue, et d'autres qu'on citera moins car a peine passable.
Histoires à chutes donc, un humour mordant. On rit (jaune), certaines idées sont bien trouvées, un eventail de thèmes tente d'enrichir le recueil (colonisateur et colonisé, rapport de force, l'homme et la machine, le pouvoir et sa propagande, le moi, l'altérité et la violence qui en découle; la relativité, surtout la relativité). Les Mémoires d'outre espace sont en fait très actuelles en supposant qu'elles soient transposées dans l'autre ailleurs. Et c'est la toute la force de Bilal qui l'air de rien décappe par le rire, mine le langage pour mieux l'éclater, et qui par son traitement de l'histoire rase les certitudes à coup de violence radiante. Une sorte de purge pour entamer la reconstruction.
Pourtant on se lasse vite. Peut être que le mécanisme (de chutes justement) perd de son intensité force de répétitions et que ses engrenages coincent. Passé la surprise de Drame Colonial  (la première nouvelle) j'ai eu tendance à trouver le reste trop simpliste, sur 8 nouvelles, je n'en retiendrai que 4. Le dessin est magnifique, mais ne rattrape pas la faiblesse de certains schémas,.. Peut être que la lecture espacée de ces Mémoires d'Outre-Espace aurait été plus favorable pour porter un regard neuf sur chaque nouvelle, sans les attentes vis a vis des précédentes, et sans les déceptions. C'est dommage, Bilal commence fort puis s'essoufle pour se rattrapper au 8eme volet, mais il est trop tard pour le lecteur, déja refroidi.
Je l'ai quand même emporté avec moi. En tant que fan, rien de plus.
                                  
                                                                                                                                            NA

samedi 19 juillet 2014

Au Revoir Là Haut- Pierre Lemaitre



"Médiocre en tout, presque toujours ridicule, Labourdin était le genre d'homme qu'on pouvait placer n'importe où, qui se montrait dévoué, une bête de somme, on pouvait tout lui demander. Sauf d'être intelligent, immense bénéfice."

"Avant guerre, elle les avait démasqués de loin, les petits ambitieux qui la trouvait banale vue de face, mais très jolie vue de dot"

                                        *          *           *
La parution d'Au Revoir Là Haut à un an de la commémoration de la Grande Guerre de 14-18 tient beaucoup du coup de marketing.
Peut-être.
Il n'en demeure pas moins que Pierre Lemaitre, auteur de nombreux polars se tourne vers un genre considéré plus "noble" dans la hiérarchie littéraire, le remanie a sa sauce, et ca marche ! Le lecteur découvre, pour son plus grand bonheur, un roman de l'après guerre qui défie les conventions de la bienséance, et qui prouve bien que l'on peut rire de tout et surtout jaune.

Pour esquisser les grandes lignes de l'histoire,
Albert et Édouard, tous deux engagés au front lors de la guerre de 14-18, voient leurs destins se lier sur le champ de bataille, lorsqu'Édouard sauve Albert in extremis.
Après la démobilisation, ils deviennent les parias d'une société qui refuse de les intégrer et tentent de reconquérir leurs places en montant une arnaque qui secouera toute la France.

Que dire de ce roman?

Tout d'abord qu'il faut s'y accrocher.
Le récit, pourtant vivace ne parvient pas à racheter les quelques longueurs bardant la première et la deuxième partie de l'ouvrage où l'auteur multiplie les vérismes quant aux portraits psychologiques des personnages, ralentissant ainsi considérablement la narration, au déplaisir de certains, à commencer par votre humble serviteur. Bah, cela aura au moins le merite de rendre les personnages épais, tellement epais que le risque d'y devenir hermetique pointe. Mais je m'étale.


Et pourtant j'ai tenu. D'abord parce qu'Au Revoir Là Haut est tres riche d'un point de vue symbolique, et s'inspire de la tradition antique: Complexe de Charon, metaphore du Styx, Cheval psychopompe. Ensuite parce que ses deux protagonistes font écho au tandem "Sancho Panza-Don Quichote"
:

" Le noble chevalier, l’idéaliste, [...] le rêveur qui prend ses hallucinations pour la réalité, le fantasque, le maître et son valet, les pieds sur terre, le valet prosaïque. C’est un couple que nous retrouvons encore dans notre réalité, à la fois alliés et adversaires."
C’est un duo qui résiste aux temps qui changent.

... Et qui inscrit Au Revoir Là Haut dans le sillage du roman picaresque ! : Albert et Edouard, à l'instar du picaro, tentent leur ascension dans une société qui les renie:


Le roman parle très peu de la guerre, du moins frontalement. Il ne s'y consacre que pendant le premier tiers, relatant une seule offensive, pour ensuite revenir sur la lente démobilisation des soldats, aux prises avec un état faisant mine d'être sourd.
Le livre fait donc la satire de la société française d'après guerre et rend compte de la bassesse des grands par le biais d'une ironie mordante. Le narrateur omniscient du roman Au Revoir Là-Haut se prête très bien a ce genre d'exercices (car possédant une connaissance assez large de tous les personnages) ce qui lui permet de jouer sur toute les tonalités en se plongeant dans la psychologie des divers actants, n'hésitant pas à jouer sur les registres de langues, des plus raffinés aux plus grossier, rendant le roman vraisemblable, satirisant les différentes classes sociales en les attaquant frontalement, sur leur propre terrain, avec leurs propres mots, comme c'est le cas pour la bourgeoisie, hypocrite et suffisante, sur fond de vertu.

Le problème de l'honneur et de la vérité sont eux aussi au premier plan du roman, et le dénouement lui, est sans appel vis a vis d'une société française dont les problèmes quant à la marginalisation de l'autre sont toujours d'actualité.
           
Mais le thème le plus saillant du roman,  s'inscrivant par ailleurs comme caractéristique principale du genre picaresque, est la notion d'antihéros, ou la problématique de l'héroïsme au sens large du terme.
Or la société qu'Édouard tente de défier attribue l'héroïsme aux martyrs, tout en vulgarisant cette conception de martyr au possible en l'utilisant a des fins lucratives. Le seul personnage du roman s'accordant le plus aux du héros conventionnel est Merlin, qui veille a rendre justice. Or ce type d'héroïsme n'est pas reconnu dans un monde ou règne le pouvoir et l'argent  et il meurt dans l'oubli à l'instar de tous les survivants de la Guerre de 14-18, sacrifiés sur l'autel de la patrie ingrate.

                                                                                                                                                     NA