mardi 11 juillet 2017

Dans la famille, il n'y a que des traîtres.

FAWAZ Ghassan, Les moi volatils des
guerres perdues,
Paris, Seuil,
coll. "Cadre rouge", 1996, 445 pp.
     Publié en 1996, soit relativement tôt après la signature de l'amnistie clôturant la guerre du Liban de 75-90, la démarche de Ghassan Fawaz est quelque peu particulière. Militant de gauche, puis d'extrême gauche, il aura pris les armes en 1975 pour les déposer un an plus tard et de gagner Paris.  
Les moi volatils des guerres perdues relate l'histoire de celui qui aurait pu être son alter-égo: Farés, jeune homme en colère contre la terre entière, gaucho, qui prend les armes lui aussi, mais qui contrairement à Fawaz mène à terme son voyage au bout de la violence. Entiché d'une prostituée egyptienne, Beyrouth, que la mort lui enlève, il n'aura plus qu'une idée en tête, le désir obsédant de la venger.

Difficile de passer outre les quelques maladresses de ce premier roman. Les tribulations diégétiques et narratologiques, à la limite de l'hallucination, rendent la lecture laborieuse. On a parfois du mal à garder le fil, et les longueurs, doublé de certains clichés (l'espionne israëlienne aussi futée que bonne, le journaliste juif qui reprend la narration de la dernière partie du roman pour y faire son méa-culpa) ne ménagent pas le lecteur.

Et pourtant ! La mise en abîme qui fait de Farès et de ses comparses des personnages de papiers sortis de l'imaginaire d'un professeur fou, abîmé par la guerre, tentative de Fawaz de mettre de la distance entre son principal protagoniste et lui, ne dupe personne. Il va sans dire que le personnage de Farès est un avatar de ce que Fawaz aurait pû devenir. Aussi est-il interessant de lire Les moi volatils des guerres perdues comme un témoignage de guerre.
Le roman remplit la fonction de l'œuvre d'art, évoquée par Lucien Goldmann dans son très interessant Sociologie du roman, et qui affirme que la qualité d'une œuvre se mesure à sa cohérence quant à la représentation du groupe social dont elle se veut l'expression. À travers l'histoire de Farès, l'auteur nous fit miroiter la vie de la génération de la guerre qu'il esquisse en filigrane.
Dans un style proche de celui de Céline, le roman est l'occasion pour l'auteur de déconstruire les grands discours des différentes factions, en leur opposant l'ironie mordante d'un narrateur désabusé, qui ne laisse rien au hasard, massacres, pillages, torture mais aussi bassesses, lachetés et complexes en tout genre.
Que dire aussi du périple picaresque de Farès, relaté à travers le regard de celui qui a pris ses distances et qui permet de décomposer avec beaucoup de lucidité les mécanismes de la violence. Pas de rédemption possible pour le héros. Farés n'a pas l'étoffe du chevalier, ou alors si, mais plutôt celle du Don Quichotte. Au fond, ce n'est qu'un rêveur mièvre, à l'orgueil inversement proportionnel à sa médiocrité, doublé d'une solitude sans exemple, un enfant penaud et mal grandi, reportant ses propres frustrations sur plus faible que lui. Pour lui, comme pour ses semblables, la violence aura été l'alfa et l'oméga. 

Si le roman de Fawaz est miné par de nombreuses maladresses, il trouve sa richesse dans le nombre d'informations qu'il livre sur la guerre du Liban. En choisissant de suivre les traces d'un milicien terriblement ordinaire de médiocrité, l'auteur adopte la stratégie de la contre-idéologie afin de déconstruire les mythes de la guerre et la représentation manichéenne que nous pourrions nous en faire. Il donne à voir la longue descente aux enfers d'un protagoniste qui se salit les mains et connaît une fin à la démesure de l'histoire. Cependant, en portant son choix sur un héros ni trop bon, ni trop mauvais, Fawaz endôsse la figure Benjaminienne du chroniqueur et donne à voir la petite histoire dans la grande, les petites guerres personnelles, trahisons, délations et peut-être aussi quelques instants de grâce à émouvoir les monstres que nous portons tous en nous.

N.A

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