Julien GREEN, Moïra, Le Livre de Poche, 1972, 256 pp. |
C'est visiblement mal à l'aise qu'il débarque chez Mrs Dare, sa logeuse, qu'il méprise, la jugeant materialiste, mue d'une pulsion flirtant avec le satanisme, fardée comme une "Bethsabée". Dès lors, Day remarque une petite boite négligement posée sur son lit, un porte cigarette appartenant à la fille adoptive de sa logeuse, Moïra.
Ce métonyme de la boîte de Pandore engendrant le mal, défendu et donc fascinant annonce le début de la longue et sourde déchéance de Joseph Day, lequel, tout au long du roman sera en prise avec ses désirs refoulés et son surmoi découlant d'une éducation protestante austère.
Il y a bien évidemment Moïra, qui hante qu'il compare maintes fois à une tentatrice sortie tout droit de l'Apocalypse, mais cette dernière ne semble être qu'une façade masquant un trouble plus profond parce que plus enfoui.
Homosexualité?
La thématique que nous avions déjà abordé dans Le Malfaiteur jalonne l'œuvre de Julien Green. Hypothèse probable, si l'on considère que la colère de Joseph se porte en premier lieu sur Bruce Praileau, qu'il passe à tabac près d'un étang le premier jour de son arrivée à l'université, et que l'on admet que les coups qu'il lui assène ne sont que des caresses hypertrophiées.
Simple idée, idée folle même, si les dernières les dernières et énigmatiques paroles adressés par Joseph à l'attention de Bruce -"tu lui diras simplement que ce n'était pas possible"- ne venait pas la corroborer.
La haine que voue Joseph pour Moïra et pour Praileau vient du fait que ces derniers sont une projection de lui même. Elle est engendrée par la mise en captivité de son Ça dont il a honte, Plus la façade est ordonnée et plus il devient difficile d'intégrer l'ombre en soi. Aussi cette dernière finit-elle par prendre le dessus sur celui que ses camarades se plaisent à appeler "l'ange exterminateur".
La Moïra est "un des noms donnés par les Grecs au destin", rappelle Green dans son avant propos. Elle impose à l'individu une part de bonheur et de malheur, de bien et de mal et la transgresser reviendrait à commettre l'hybris (1) et à s'attirer les foudres divines.
Joseph Day apparaîtrait donc comme comme la matérialisation de la démesure, conférant ainsi à l'œuvre sa dimension tragique, violente et inéluctable.
(1) Hybris: Dans la Grèce antique, sentiment violent, inspiré par les passions, particulièrement l'orgueil; sanctionné par la némésis, ou jugement des Dieux.
N.A
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