L'Or, c'est d'abord l'histoire d'un périple, l'Odyssée hallucinée de Johann August Sutter, l'homme le plus riche de la Californie et qui, "milliardaire, a été ruiné par la découverte des mines d'or sur ses terres" (1).
L'homme a existé. Il n'est autre que le fondateur de la Californie moderne, d'abord baptisée la "Nouvelle Helvetie". Delaissant sa suisse natale et ses créanciers, abandonnant femme et enfants, il met les voiles vers les États-Unis, afin d'y querir fortune. Obtenant une concession du gouvernement mexicain, soucieux de faire florir la région, vide et quelque peu laissée à elle même depuis le départ des Jésuites, Sutter reussit à bâtir un empire, un Eldorado de l'abondance. Jusqu'à la découverte de l'or.
Très vite, la nouvelle se répand, les chercheurs d'or, petites frappes et autres bandits affluent, même la main d'œuvre de Sutter est ennivrée au point de déserter son domaine pour les mines. Sutter est seul. Son rêve de "Nouvelle-Helvetie" est réduit en cendres. S'en suit une longue et vaine bataille juridique pour faire revendiquer ses droits, mais l'homme est déjà vieux et s'est considérablement appauvri. Il mourra sans avoir obtenu gain de cause.
* * *
Certains critiques ont reproché à Cendrars ses nombreux impairs historiques. On l'accuse de grossir la vérité, d'avoir forcé le pathos en modulant certains évennements à sa guise, faisant de Sutter un vieillard dément, obnubilé par sa quête de justice, la risée de Washington.
Ce serait trop vite oublier l'intitulé du roman.
"La Vérité Historique c'est la mort.
Une abstraction.
De la Pédagogie."(2)
L'auteur ne cherche en aucun cas à brosser le portrait exact du personnage. Il s'agit pour lui de relater "la merveilleuse histoire du général Johann August Sutter", l'histoire tragique d'un aventurier dévoré par son rêve, la destinée d'un héros "née sous la patte velue d'un Dieu qui s'amuse"(3). Cendrars rêve grand, et si l'histoire lui refuse le sublîme de la décadence Sutter, alors au diable la vérité. Il la réinvente, à sa mesure, c'est à dire mythique, comme Cervantes dans la croisade de Don Quichotte ou le moine Turold avec Roland de Roncevaux (lequel n'a pas succombé dans un combat épique sous le poids d'une armée de Sarrasins comme le suggère la Chanson de Roland, mais à une embuscade de bandits basques). Une abstraction.
De la Pédagogie."(2)
Sa parole est celle de l'abondance et du gigantisme. Il fabule, malmène l'Histoire pour n'en garder que ce qui lui convient. Dans une ivresse verbale qui n'épargne rien, cette écriture flambe, vous ronge jusqu'à la moelle, et vous envoie valser dans les tumultes de la fièvre de l'or au moment où vous vous y attendiez le moins jusqu'à l'apothéose du grand incendie- ceux qui liront le livre verront à quoi je fais allusion-.
Pour relater les splendeurs et les misères du général Sutter, Cendrars a fait un choix entre le mythe et "le mensonge ondoyent et la vérité plate"(4). Le resultat est fascinant, aux frontières des grandes tragédies, de la légende et des chants épiques .
N.A
(1) CENDRARS Blaise, Le Panama ou les Aventures de mes sept Oncles, Ed. Fata Morgana, 2015
(2) CENDRARS Blaise, John Paul Jones ou l'ambition, Fata Morgana, 1989.
(3) CENDRARS Blaise, L'Or, Ed. Gallimard, Collection Folio, 2006, "Préface", p.8.
(4) CAMILLY Jérôme, Pour saluer Cendrars, Ed.Actes Sud, 1987, p.92.
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