"Médiocre en tout, presque toujours ridicule, Labourdin était le genre d'homme qu'on pouvait placer n'importe où, qui se montrait dévoué, une bête de somme, on pouvait tout lui demander. Sauf d'être intelligent, immense bénéfice."
"Avant guerre, elle les avait démasqués de loin, les petits ambitieux qui la trouvait banale vue de face, mais très jolie vue de dot"
* * *
La parution d'Au Revoir Là Haut à un an de la commémoration de la Grande Guerre de 14-18 tient beaucoup du coup de marketing.
Peut-être.
Il n'en demeure pas moins que Pierre Lemaitre, auteur de nombreux polars se tourne vers un genre considéré plus "noble" dans la hiérarchie littéraire, le remanie a sa sauce, et ca marche ! Le lecteur découvre, pour son plus grand bonheur, un roman de l'après guerre qui défie les conventions de la bienséance, et qui prouve bien que l'on peut rire de tout et surtout jaune.
Pour esquisser les grandes lignes de l'histoire, Albert et Édouard, tous deux engagés au front lors de la guerre de 14-18, voient leurs destins se lier sur le champ de bataille, lorsqu'Édouard sauve Albert in extremis.
Après la démobilisation, ils deviennent les parias d'une société qui refuse de les intégrer et tentent de reconquérir leurs places en montant une arnaque qui secouera toute la France.
Que dire de ce roman?
Tout d'abord qu'il faut s'y accrocher. Le récit, pourtant vivace ne parvient pas à racheter les quelques longueurs bardant la première et la deuxième partie de l'ouvrage où l'auteur multiplie les vérismes quant aux portraits psychologiques des personnages, ralentissant ainsi considérablement la narration, au déplaisir de certains, à commencer par votre humble serviteur. Bah, cela aura au moins le merite de rendre les personnages épais, tellement epais que le risque d'y devenir hermetique pointe. Mais je m'étale.
Et pourtant j'ai tenu. D'abord parce qu'Au Revoir Là Haut est tres riche d'un point de vue symbolique, et s'inspire de la tradition antique: Complexe de Charon, metaphore du Styx, Cheval psychopompe. Ensuite parce que ses deux protagonistes font écho au tandem "Sancho Panza-Don Quichote" :
" Le noble chevalier, l’idéaliste, [...] le rêveur qui prend ses hallucinations pour la réalité, le fantasque, le maître et son valet, les pieds sur terre, le valet prosaïque. C’est un couple que nous retrouvons encore dans notre réalité, à la fois alliés et adversaires." C’est un duo qui résiste aux temps qui changent.
... Et qui inscrit Au Revoir Là Haut dans le sillage du roman picaresque ! : Albert et Edouard, à l'instar du picaro, tentent leur ascension dans une société qui les renie:
Le roman parle très peu de la guerre, du moins frontalement. Il ne s'y consacre que pendant le premier tiers, relatant une seule offensive, pour ensuite revenir sur la lente démobilisation des soldats, aux prises avec un état faisant mine d'être sourd. Le livre fait donc la satire de la société française d'après guerre et rend compte de la bassesse des grands par le biais d'une ironie mordante. Le narrateur omniscient du roman Au Revoir Là-Haut se prête très bien a ce genre d'exercices (car possédant une connaissance assez large de tous les personnages) ce qui lui permet de jouer sur toute les tonalités en se plongeant dans la psychologie des divers actants, n'hésitant pas à jouer sur les registres de langues, des plus raffinés aux plus grossier, rendant le roman vraisemblable, satirisant les différentes classes sociales en les attaquant frontalement, sur leur propre terrain, avec leurs propres mots, comme c'est le cas pour la bourgeoisie, hypocrite et suffisante, sur fond de vertu.
Le problème de l'honneur et de la vérité sont eux aussi au premier plan du roman, et le dénouement lui, est sans appel vis a vis d'une société française dont les problèmes quant à la marginalisation de l'autre sont toujours d'actualité.
Mais le thème le plus saillant du roman, s'inscrivant par ailleurs comme caractéristique principale du genre picaresque, est la notion d'antihéros, ou la problématique de l'héroïsme au sens large du terme. Or la société qu'Édouard tente de défier attribue l'héroïsme aux martyrs, tout en vulgarisant cette conception de martyr au possible en l'utilisant a des fins lucratives. Le seul personnage du roman s'accordant le plus aux du héros conventionnel est Merlin, qui veille a rendre justice. Or ce type d'héroïsme n'est pas reconnu dans un monde ou règne le pouvoir et l'argent et il meurt dans l'oubli à l'instar de tous les survivants de la Guerre de 14-18, sacrifiés sur l'autel de la patrie ingrate.
NA
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