vendredi 13 février 2015

"En rentrant, nous jetons dans l’herbe haute qui borde la route les pommes, les biscuits, le chocolat et les pièces de monnaie. La caresse sur nos cheveux est impossible à jeter."

Le livre dont je souhaite vous parler aujourd'hui fait partie de mes coups de coeurs de l'année 2014. Il s'agit du premier tome de La Trilogie des Jumeaux de la Hongroise Agota Kristof, trilogie que j'achèverai dans les jours qui suivent. J'ai cependant tenu à chroniquer les tomes séparément, voire de ne chroniquer que le premier tome, moins par paresse que de crainte de vous aiguiller sur la suite des évènements.


Le grand cahier, c'est l'espèce de journal que les jumeaux Klaus et Lucas tiennent lors de leur séjour à la campagne, lorsque leur mère les confie à leur Grand-Mère pour les protéger de la guerre qui fait rage dans la Grande Ville.

"Nous l'appelons Grand-Mère.
Les gens l'appellent la Sorcière. Elle nous appelle «fils de chienne»."

Le pavé est jeté dans la mare. Les jumeaux réalisent bien vite que pour survivre, ils n'auront d'autre choix que de compter l'un sur l'autre et surtout sur eux même. Ils sont deux contre le monde entier, ou peut-être devrai-je dire qu'ils ne font plus qu'un, et que cette relation adelphique fusionnelle est leur dernier rempart face à la sauvagerie du réel.

Face à un monde où la cruauté n'a plus d'égal, et pour s'endurcir, les jumeaux entreprennent alors une étrange éducation en autodidactes, doublée de rituels (exercices de cécité et de surdité, d'immobilité, de résistance à la douleur physique et morale) qui devraient leur permettre d'affronter le monde et son absurde violence.
Le tout consigné d'une écriture froide, où le Nous prédomine, comme pour préserver leur dernier bastion, cette gémellité qui apparait comme leur seul espoir de survie.
Le grand cahier
fait partie de ces oeuvres qui privilégient la fonction de narration à la fonction esthétique. Il en résulte une écriture cash, qui va droit au but, une écriture qui montre à quel point les enfants sont parfois singuliers... et terribles.

Le grand cahier est un livre qui dérange de par son caractère cru, tant par son écriture que par les termes abordés. Certains chapitres sont très graphiques, et j'ai par moment du réprimer quelques haut le coeur tant l'horreur y est omniprésente, et surtout à cause de la voix blanche des Jumeaux qui dépeint les scènes les plus abjectes d'une voix étrangement tranquille. Une voix qui se contente de décrire ce qu'elle voit en faisant abstraction de toute émotion, Klaus et Lucas ne se fiant jamais à leurs sentiments qu'ils considèrent comme une marque de faiblesse.

Vous vous demandez surement pourquoi je défends ce livre, alors que la présentation que j'en fait est loin d'être appétissante, c'est le cas de le dire. Le grand cahier n'est certainement pas un livre à mettre dans toutes les mains. Il aborde des thèmes tel que le masochisme, la pédophilie, la zoophilie, la guerre et son charnier (bien évidement) et cette liste est loin d'être exhaustive. Les jumeaux peuvent paraître cruels, inhumains, étranges au premier abord...
Et pourtant leur humanité est bel et bien présente, même si profondément enfouie. Lisez plutôt cette phrase, et voyez par vous même:

En rentrant, nous jetons dans l’herbe haute qui borde la route les pommes, les biscuits, le chocolat et les pièces de monnaie. La caresse sur nos cheveux est impossible à jeter.

J'ai personnellement adoré ce livre, à cause justement de ces instants de grâce. C'est un roman qui se lit vite. Les chapitres sont courts, l'écriture est simple, concise et incroyablement efficace. On va de gifle en gifle et on en redemande. Avec Le grand cahier, Agota Kristof montre comment l'écriture peut faire figure de salut. Et peut-être qu'en lisant entre les lignes, vous parviendrez à anticiper la suite (je n'y suis pas parvenue avant d'aborder le deuxième tome) qui est plus que surprenante. À suivre...

NA


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