jeudi 12 février 2015

"La guerre, heureusement, éclate le lendemain, ce qui fait que je ne suis jamais allée faire la bonne ni chez les Burgos, ni chez personne."

Ceux qui, avec le Goncourt, s'attendaient à voir défiler un cortège de romans portant sur la première guerre mondiale se sont trompés. La sélection de 2014 ne serait pas celle de 1914. L'académie semble en effet avoir tablé sur l'éclectisme en proposant aux lecteurs un large éventail de thèmes, mais où la dimension historique apparait cependant comme majoritaire.
Après l'Algérie française de Kamel Daoud, la condition juive dans Charlotte ou Ce sont des choses qui arrivent, et l'éternelle problématique des frontières abordée par Emmanuel Ruben, Lydie Salvayre nous propose de revivre une autre guerre : celle qui divisera l'Espagne en 1936, théâtre d'atrocités aussi bien adverses qu'intestines.

Pour ce faire, l'auteur tresse deux visions de la guerre: celle de Georges Bernanos, fervent catholique et royaliste qui choisit de témoigner contre son propre camp après avoir assisté aux abominations de Palma perpétrées par ceux que l'on appellera plus tard les franquistes, et parallèlement, le regard de Montse, la mère de la narratrice, quinze ans en 1936, qui vit la guerre d'Espagne comme un affranchissement euphorique des moeurs villageoises et du code social avant d'être ramenée à la réalité.
Le roman de Lydie Salvayre à cela d'agréable que ses personnages ne sonnent pas faux: cette justesse est sans doute liée au fait que l'auteur prend le temps de brosser le portrait psychologique de chacun d'entre eux : grâce à la focalisation interne, la narratrice nous dévoile l'intériorité de tous les personnages, la mère c'est évident, et entre autres celle de Josep, tête brulée qui finira martyr ou encore l'ombrageux batard, Diego. Ce choix de focalisation est fondamental dans le sens ou il permet au roman d'inviter le particulier, à savoir le quotidien des civils dans l'universel qui est la guerre d'Espagne. Le conflit, qui est pourtant abordé dans nos livres d'histoire nous est raconté autrement et va à l'encontre de l'optique analytique et scientifique que nous connaissons si bien aux ouvrages historiques et sociologiques.
Par la focalisation interne, le roman devient alors un médium où le vécu du héros prime sur l'Histoire avec un grand H, où l'individu prend le dessus sur la généralisation scientifique. Un peu comme si, pour une fois, nous pouvions raconter l'histoire de Montse, Diego ou Josep, la littérature devenant, avec le cinema, le seul lieu où il serait possible d'occulter un temps Franco pour laisser la place à un monsieur ou à une madame tout-le-monde.
La thématique du courage est omniprésente dans ce roman: le courage d'assumer, incarné par Montse, celui de mourir pour ses idées, et surtout le courage de remettre en question ce que l'on prenait pour aquis, d'être intègre quitte à dénoncer ce que l'on cautionnait après avoir été témoin du mal, et ce à travers la figure de Georges Bernanos qui pose la littérature comme étant un acte de citoyenneté.
Les passages en espagnol ne m'ont personellement pas plus gêné que ça. J'ai même trouvé que le métissage de la langue apportait une espèce d'euphorie communicative des plus bienvenues dans la manière l'histoire. Je regrette l'absence de traductions, de notes quelquonques car je conçois que pour ceux ne connaissant pas la langue, l'abondance de ces passages puisse rebuter
J'aurais aussi aimé que Georges Bernanos soit plus présent dans l'intrigue, le fait de l'introduire par petites citations tronquant à mon sens la fluidité du récit n'avait pour effect que de rendre par moment la construction du roman rébarbative et, je dois l'avouer, quelque peu laborieuse. Il faut s'accrocher ferme pour ne pas lacher Pas pleurer. Bien qu'ayant pris en affection la mère de la narratrice, j'ai manqué de ce petit quelque chose qui fait l'excitation, les grandes envolées romantiques, et les espoirs déchus... Je n'en suis pas sortie particulièrement remuée et on me l'avait tellement vanté que je ne peux vous cacher ma déception.


Le Goncourt de cette édition 2014 partait surement d'une excellente intention. Il a d'abord le mérite de faire découvrir Georges Bernanos, voire de donner envie de le lire. Le mérite aussi de vouloir poser la littérature comme devoir de mémoire. Projet ambitieux, certes, peut-être même un peu trop pour la plume de Lydie Salvayre qui ne parvient pas, à mon sens, à toucher le lecteur, à frapper au ventre et à frapper fort.
Maladroitement exécuté, Pas Pleurer reste à mon sens un roman moyen, qui tout au plus vous apportera une autre vision de la guerre d'Espagne.

N.A

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