mardi 12 janvier 2016

J’ai été pris d’une énergie extraordinaire qui a explosé dans une étoile de tristesse, parce que j’ai su que je n’arriverais jamais à écrire comme cela

Mathias ÉNARD,
L'alcool et la Nostalgie,
Ed. Babel,2012, 96 pp.
À LA CROISÉE DES ROUTES

Il y a aux origines de L'alcool et la Nostalgie la volonté de France Culture et de Culture France d'inviter des écrivains français à parcourir la Russie à bord du Transsibérien et de leur demander d'écrire une fiction radiophonique dans le cadre de ce voyage. Énard, heureux élu, nous offre un voyage en train, aux cotés de Mathias -le personnage- lui aussi écrivain, lequel accompagne la dépouille de son ami Vladimir dans son dernier voyage, un retour au pays natal en somme.

Dans cette Russie de la mort des idéaux où l'alcool se mêle à la drogue, l'agonie du paysage renvoie à la mort interieure d'un personnage désillusionné, faute d'avoir trop cru.
C'est un voyage au bout de la violence que nous offre l'écrivain. Un voyage que nous avions déja fait aux cotés de Blaise Cendrars qui nous avait déjà fait monter à bord de ce train près d'un siècle plus tôt, au point où nous serions tentés de voir dans L'alcool et la Nostalgie un sequel de la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France.
Dans une langue aussi bien haletante que dévastatrice, Mathias Énard, à l'instar de son modèle, nous livre aussi bien un voyage au coeur de la Russie qu'à l'épicentre de la douleur de l'homme. Comme pour Blaise, le protagoniste laisse tout derrière pour ce jeter dans la gueule béante du train, dragon de la modernité et du temps qui passe, lequel recrachera sa proie après l'avoir transfigurée. Et comme pour son prédécesseur, esperant se reincarner en une figure glorieuse, il finit immanquablement par connaître la chute, victime du réseau chemin de fer et de la vitesse, impitoyables envers ses sentiments et ses illusions de jeune homme. Son personnage, torturé, rompu par la vie, est hanté par un sentiment d'insécurité, impuissant à trouver sa voie et dont l'évolution, aussi bien artistique qu'interieure se trouve fatalement entravée:
"vingt ans quand j'ai lu ce livre, [...] Vlad, vingt ans et j'ai été pris par une énergie extraordinaire, d'une énergie fulgurante qui a explosé dans une étoile de tristesse, parce que j'ai su que je n'arriverai jamais à écrire comme cela, je n'étais pas assez fou, ou pas assez îvre, ou pas assez drogué, alors j'ai cherché tout cela, dans la folie, dans l'alcool, dans les stupéfiants, plus tard dans la russie qui est une drogue et un alcool, j'ai cherché la violence qui manquait à mes mots".

Si Mathias Énard a choisi de rendre cette hommage à Blaise Cendrars, c'est peut-être parce qu'adolescent, il rêvait de parcourir le monde à l'instar de son modèle. L'alcool et la nostalgie est un hommage très reussi rendu à la littérature de voyage, et qui, dans une langue prosaïque, emporte dans une Russie au gout de cendres dont les si brèves années de gloire n'existent plus que dans les réminiscences d'un veil enfant mal grandi.

N.A

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