lundi 13 avril 2015

"J'ai été élevé par des clowns, des bouffons, des comédiens et un homme-canon, et c'étaient les plus tristes créatures que j'aie jamais vues."

Rawi Hage, Carnival City
Editions Denoël, 2014, 343 p.
Dans Carnival City, Rawi Hage nous fait sillonner une grande ville nord américaine aux cotés de Fly, un taxi de nuit singulier, toujours à l'affut de nouveaux passagers, d'histoires. En résultent bien des rencontres, bonnes où mauvaises qu'importe, puisqu'elle sont toutes bonnes à raconter.

Fly est né dans un cirque. Enfant, il lit les fables de La Fontaine aux singes, se promène devant les cages aux fauves, grandit dans la roulotte de la femme à barbe.
Fly est une mouche. Probablement à cause de son enfance de nomade. Les mouches [...], se meuvent sans discontinuer. Demeurer sur place est, pour elles, impensable. Le mouvement leur est vital. Ainsi, notre personnage principal sillonne les rues bourdonantes de la grande ville à la recherche de nouveaux passager qui défilent sur sa banquette: prostituées, ivrognes, gros bonnets, baron de la drogue ou fils à papa.
À ses heures perdues, il passe son temps à se masturber sur le tapis de son père en s'inventant des scénarios pour le moins épiques dans son appartement-bibliothèque qui regorge de trésors.
Dans un registre qui invite l'hallucinatoire dans la réalité, la poésie dans les bas-fonds de la ville, Fly nous raconte l'histoire de ses courses nocturnes lors de la saison du carnaval, celle des passagers qu'il rencontre, et se fait défenseur de l'orphelin, du clochard et de la putain à l'occasion. Le tout dans une esthétique copulative, doublée d'une langue riche, entre grandes envolées et humour noir, aussi foisonnante que la faune qu'il cotoye au fil des chapitres.

À l'image du carnaval, et de cette humanité en mal d'amour qu'elle cherche à rendre, l'écriture de Carnival City part un peu dans tous les sens. En découle une construction romanesque assez morcelée et sans véritable continuité, à l'exception de certains personnages qui refont surface au fur et à mesure que les pages défilent. Il y a là un souci de réalisme, une volonté de rendre les rencontres d'un chauffeur de taxi, leur brièveté et leur ponctualité, mais cet éclatement de la structure pourrait en dérouter plus d'un, en particulier lorsque l'auteur prive le lecteur des outils lui permettant de tisser des liens avec ses personnages (j'ai moi même décroché plusieurs fois avant de pouvoir le terminer).
On parvient finalement à s'attacher à Fly, mais il s'agit encore une fois d'un couteau à double tranchant: soit on aime, soit on déteste. Je fais partie des premiers, j'a toujours eu un point faible pour les anti-héros. Fly n'est pas un enfant de choeur, la noirceur du roman en témoigne, et pourtant il a quelque chose de sacrificiel, presque... divin.

Malgré sa noirceur, il y a une véritable ode à l'altérité dans le dernier roman de Hage. Le lecteur est ancré dans le réel. Il ouvre les yeux sur les problèmes sociaux d'une époque où s'insécurité est reine, et il y a dans ce livre quelque chose de la dystopie. Entre drogue, caïds d'un soir, jeunes demoiselles en détresse, racisme, abus en tout genre et j'en passe, le bilan peut sembler bien pessimiste. Mais plus que cela, Carnival City est une invitation à voir au delà de la masse pour mieux s'interesser à l'individualité de chacun dans toute sa différence, ses moments de faiblesse, de désespoir, pour parfois entrevoir le sacré dans tout ce qu'il a de plus primaire.

N.A

Ce livre à été lu dans le cadre du Challenge Projet 52.

3 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas du tout et rien qu'à voir la couverture je suis subjuguée. Merci pour la découverte! :)

    (et très, très chouette le nouveau style du blog ^^)

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    1. Tu me diras si jamais tu le récupères, je suis curieuse de savoir ce que tu pourrais en penser !
      Merci pour le blog (je suis pas trop fan mais c'est plus cool de lire sur du blanc) faut je m'active pour les albums mais en ce moment c'est du grand n'importe quoi, je t'écris bientôt pour te raconter le tout. ^^

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    2. De mon côté je devrais pouvoir te renvoyer ton paquet début mai (désoléedésoléedésolée). On finira bien par s'en sortir! ^^

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